Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/257

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LE SECRET DU PRÉCEPTEUR. 251

— Ah ! monsieur Tristan, ne me faites pas l’injure de croire que nous puissions avoir des secrets pour vous !

Nous nous assîmes, la séance fut ouverte. Monique était allée se placer à quelque distance de l’aréopage, dans une des encoignures de la cheminée, et le dos à la muraille, elle nous regardait comme un prévenu peut regarder ses juges.

— Ma chère enfant, lui dit son père, j’ai une importante nouvelle à t’ apprendre. M me Monfrin est venue cette après-midi...

— Vous ne m’apprenez rien, interrompit-elle. J’ai aperçu de loin cette insulaire ; elle était aussi ridiculement habillée que d’habitude, et j’ai deviné, par la force de mon génie, qu’elle aspire au bonheur d’être ma belle-mère. Avant de me prononcer à ce sujet, je désire vous entendre tous. Je ne parle pas de M. Tristan, qui depuis longtemps déjà m’a fait connaître son opinion, et que j’autorise à demeurer aussi silencieux que l’est souvent M. Monfrin. Mais vous, mon cher père, vous, maman, vous, ma chère sœur, expliquez-vous, je vous prie. Je suis tout oreilles.

M. Brogues parla le premier, et prononça un discours en trois points. Il nous démontra premièrement que M. Monfrin était un homme d’une remarquable intelligence, qui possédait au plus haut degré l’esprit des affaires ; puis il passa en revue toutes ses qualités morales, vanta la pureté, l’élévation, l’intégrité de son caractère ; il établit en troisième lieu que, si cet homme distingué épousait Monique, ce serait, dans la meilleure acception du mot, un mariage de haute convenance, que situations sociales, âges, fortunes, tout serait parfaitement assorti. M me Brogues fut beaucoup plus brève, mais elle renchérit encore sur le panégyrique que son mari venait de faire du postulant. Elle déclara que depuis longtemps elle avait ressenti pour lui de vives sympathies et deviné toutes ses rares qualités, dont une charmante modestie rehaussait encore le prix, qu’elle avait toujours nourri en secret le désir de lui faire épouser une de ses filles.

Dès qu’elle eut fini :

— A ton tour, ma chère Sidonie ! s’écria Monique.

Sidonie commença par insinuer qu’il y avait entre sa sœur et M. Monfrin de tels contrastes de tempéramens, de goûts, d’humeurs, qu’on avait peine à concevoir comment deux êtres si différens pourraient vivre heureux l’un avec l’autre. Pendant cette première partie de son discours, M me Brogues donna des signes de visible impatience ; mais les conclusions la réconcilièrent avec le préambule. Sidonie s’appliqua en effet à nous persuader que les oppositions sont nécessaires pour faire d’heureux ménages, comme les discordances pour faire de riches harmonies ; que l’affection réciproque d’un mari et d’une femme qui se ressemblent en tout ne