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beau-frère, le roi d’Angleterre, qui m’a fait tous les maux du monde, mais je lui ai pardonné et j’ai tout oublié, et aussitôt que je serai mort, ma femme le lui écrira : — Entends-tu, dit-il à la reine, tu n’oublieras pas, tu écriras à ton frère. — Mais, reprend Rolof, pourquoi Votre Majesté ne fait-elle pas écrire tout de suite à son beau-frère, pendant qu’elle est encore en vie ? — Non, quand je serai mort, la reine écrira. » — Il n’était pas homme à payer d’avance, et ce mot de Rolof, qu’il ne mourrait pas si vite, le faisait réfléchir. Le lendemain, il envoya le portier Eversmann demander au pasteur pourquoi, n’étant pas médecin, il avait dit cette parole. Rolof répondit qu’à la vérité il n’était pas médecin, et que même il n’avait pris une médecine de sa vie, mais qu’il se connaissait assez en figures de malades, depuis trente ans qu’il en voyait, pour affirmer que le roi n’était pas à l’article de la mort : « ce qui était fort heureux, au reste, car Sa Majesté n’était pas encore assurée de son salut. » — Sur quoi il fut mandé de nouveau : — « À ce que j’apprends, tu doutes encore de mon salut, lui dit le roi : qu’est-ce que je fais pour que tu en juges ainsi ? — J’ai souvent dit à Votre Majesté que le Christ est le fondement de notre salut, à deux conditions : la première, que nous croyions en lui ; la seconde, que nous nous réglions sur sa conduite et son exemple et que nous prenions son esprit. Si ce changement d’esprit ne s’opère pas en nous, point de salut à espérer ! Si Dieu, par un miracle dont nous ne connaissons encore aucun exemple, voulait vous sauver, vous auriez, dans l’état où présentement vou3 êtes, bien peu de joie au ciel. Votre armée, votre trésor, vos pays, il faudra quitter tout cela, et vous n’aurez plus de serviteurs sur qui donner cours à la passion de votre colère. Au ciel, il faut penser et sentir célestement. » — Le roi ne répondit rien ; il regardait l’assistance d’un air lamentable, qui semblait dire : — « Personne de vous ne viendra donc à mon secours ? » — Plusieurs fois, Rolof lui demanda de faire sortir les douze ou quinze personnes qui se trouvaient toujours là, mais il refusa, disant que c’étaient de fort honnêtes gens et qui pouvaient demeurer. Peut-être avait-il peur des sévérités du tête-à-tête ; mais, devant tous, humble et pénitent, il parlait du péché et du repentir avec des expressions d’une force admirable, et il énumérait ses péchés avec de tels détails que le pasteur lui reprochait de se confesser à la façon des catholiques. Seulement, il omettait à dessein certains actes, qu’il ne tenait pas pour des péchés. Rolof lui rappelait les condamnations à mort sans jugement, mais lui se justifiait, et, alors, c’étaient des discussions vives : — « Votre Majesté n’a pourtant pas toujours tout fait pour l’amour de Dieu ? — Mais si ! — Mais non ! » Mais quand le