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accoutumée à ses manières, dit-elle, mais cela ne laisse pourtant pas que j’y suis sensible ; c’est trop cruel d’avoir ses manières. Patience, je n’ai rien à me reprocher et fais mon devoir ; le bon Dieu aidera à me faire supporter ceci comme bien d’autres choses. » Dieu en effet, lui donna la grâce de la patience, et je ne sais pas s’il est une lecture plus touchante que celle des écrits de sa vieillesse. Je recommande aux âmes délaissées et qui veulent se résigner « la lettre dédicatoire à mon frère, » préface a la traduction faite par elle en notre langue, d’un traité dont le titre l’avait séduite : le Chrétien dans la solitude, et aussi quelques pages intitulées : Réflexion et méditation à l’occasion du renouvellement de l’année. Toute l’histoire de sa vie y est dite en quelques confidences très douces : « Souvent, j’ai été séduite ou par un feu follet, ou par un esprit raffiné, ou je me suis égarée dans l’obscurité de la mélancolie… Il y a eu dans mon cœur toutes sortes de choses que je me suis proposées. Mon cœur s’est laissé séduire par des imaginations et par un faux amour-propre, par la vanité et la fragilité de ses souhaits, et il s’est embrouillé dans des buts obstinés. » Elle demande pardon à Dieu de n’avoir pas vu tout de suite que, s’il l’a « très souvent menée par des voies inconnues et merveilleuses, toujours il l’a bien menée, » et que « ces voies de la croix ont été les moyens immédiats pour son amélioration et pour son vrai bonheur. » Dieu lui a montré qu’il veut qu’on s’attache à lui seul : « C’est en lui que j’aurai toujours recours ; il sera toujours mon secours, mon parent, mon soutien, jusqu’à la fin de ma vie, et il me recevra dans la bienheureuse éternité. Sans lui, je serais comme seule, abandonnée et isolée dans le monde. »

Ainsi Frédéric avait tenu la promesse qu’il s’était faite de se débarrasser de sa femme aussitôt que le roi serait mort : « Bonjour, madame, et bon chemin ! » Il reconnaissait pourtant qu’il n’avait rien à lui reprocher. Une fois, dans sa cruelle correspondance avec elle, il laisse échapper cet aveu : « Madame, il faut vous aimer, et la bonté de votre cœur mérite qu’on l’estime ; » mais, du parti qu’il a pris, il ne démordra point. L’histoire ne doit pas tenir pour détails inutiles la vie privée des grands hommes, car ceux-ci n’ont pas deux façons de vivre ; et ils traitent d’une même âme leurs affaires particulières et les affaires publiques. Ici, l’âme est d’airain.

La reine Élisabeth fut à peu près la seule victime de l’avènement. Des serviteurs du roi défunt, dont la disgrâce était attendue par tous et par eux-mêmes, s’étonnèrent de demeurer en place. Des amis du roi, et des plus intimes, les compagnons de la vie de Rheinsberg, furent surpris de ne pas tout de suite monter aux grands