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premier, plaisantait avec le second, et il brûlait la route, refusant les entrées solennelles, les fêtes, les discours et toute la pompe des inutilités magnifiques. Kœnigsberg et la Prusse, c’était le pays des vieux souvenirs chevaleresques ; le royaume avait de vénérables privilèges qui remontaient au temps de l’ordre teutonique. C’était, à chaque événement, matière à discussions sans fin, à notes et contre-notes, répliques, dupliques et tripliques. Mais tout se passa très simplement ; le maître réclama l’hommage en sa qualité de maître et il le reçut comme il le demandait. Sur les monnaies frappées à l’occasion de l’hommage, le titre de roi de Prusse, rex Borussiœ, fut changé en celui de roi des Prussiens, rex Borussorum. Les Prussiens étaient substitués à la Prusse, les hommes au sol, l’imperium exercé par un homme sur des hommes à la propriété d’une terre, la monarchie moderne à la monarchie féodale.

La cérémonie de l’hommage des États de Brandebourg fut célébrée très simplement aussi à Berlin ; on n’y vit paraître ni le chapeau d’électeur, ni le bâton d’archichambellan de l’empire. Vieux objets à mettre dans un musée de curiosités, ce chapeau et ce bâton ! Le roi des Prussiens ne regardait pas dans la vieille histoire : il regardait dans le réel et il voyait vrai. D’être électeur du saint-empire, il ne se souciait guère, et quelle drôlerie que ce titre d’archichambellan d’un fantôme, d’un fantoche ! Frédéric-Guillaume, dans sa dernière conversation politique, recommandait encore à son fils le respect du u chef de l’empire. » Ce que Frédéric II pensait du chef de l’empire, les ministres l’apprirent par la suite de la note marginale où ils étaient traités d’Iroquois : « L’empereur est le vieux fantôme d’une idole qui avait du pouvoir autrefois et qui était puissant, mais qui n’est plus rien à présent ; c’était un homme robuste, mais les Français et les Turcs lui ont donné la v.., et il est énervé à présent. »

Ce rejeton d’une vieille race arrivait donc au pouvoir avec la pleine liberté d’esprit d’un homme nouveau et une merveilleuse fraîcheur de forces. Il régnait avec allégresse ; ses lettres, ses billets et ses notes trahissent sa joie intime. La grandeur et la diversité de ses occupations l’amusent : « Adieu, écrit-il à Jordan. Je vais écrire au roi de France, composer un solo, faire des vers à Voltaire, changer les règlemens de l’armée et faire encore cent choses de cette espèce. » Avec Voltaire, il continue de jouer le philosophe, et de regretter sa liberté de suivre sa fantaisie, de penser, de rêver et d’écrire. Il plaisante même sur son avènement : « J’étais en train de composer une épître sur les abus de la mode et de la coutume, lorsque la coutume de la