Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/329

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réputation. Comme il grince des dents lorsque Clairon affirme qu’un auteur, quand il a terminé une pièce, n’a fait que le plus facile ! Comme il rembarre, dans son Journal historique, confident de ses colères, les perroquets, les chiffons coiffés, dont le talent viager se borne à exécuter ce que les auteurs pensent, et les verrailleurs, les encyclopédistes qui les farcissent de vers et de prose adulatrice ! Avec quel entrain rageur il dénonce leur avidité, leurs métalents, et la trop grande aisance qui favorise la paresse, et le théâtre déserté pour les fructueuses cueillettes en province ou les représentations en ville, et les complaisances des gentilshommes de la chambre qui trop souvent leur donnent gain de cause, « comme des maîtres injustes le donnent à des valets, » du Belloy, l’auteur du Siège de Calais, un des grands succès du siècle, condamné par leur faute à la mendicité, mourant de chagrin parce qu’ils refusent de jouer ses pièces, — Molé, brusquant le malheureux Boivin, qui était allé le relancer dans sa campagne d’Auteuil : « Eh ! monsieur, cessez de m’accabler, on vous jouera, mais de grâce, ne venez plus traîner dans mon antichambre ! » Mais aussi avec quelle satisfaction il fait l’éloge des comédiens italiens qui lui ont offert ses entrées ! Car on aime toujours quelqu’un contre quelqu’un. Cependant quelques auteurs, comme Saint-Foix, savent se faire respecter à force de se faire craindre. Il avait confié à Mlle Lamotte le rôle de la Fée, dans l’Oracle : mécontent de ses emportemens qu’il jugeait outrés, il lui arracha sa baguette pendant une répétition : « J’ai besoin d’une fée, dit-il, non d’une sorcière. » Et comme elle voulait récriminer, il lui ferma la bouche par ces mots : « Vous n’avez pas de voix ici, nous sommes au théâtre, et non au sabbat. »

Longtemps, hélas ! avant que Louis XIV, Corneille, Racine et Molière ne relèvent la dignité d’auteur dramatique, cette profession demeure dépendante, subalterne en quelque sorte, et celui qui l’embrasse se traîne à la remorque des troupes ambulantes ou sédentaires : il se met à leur solde, on le paie à forfait, tant la pièce, presque toujours un prix ridicule ; très souvent aussi il est comédien en même temps que fabricant de pièces. Au XVIIe siècle se produit un grand changement ; parfois encore les comédiens traitent à forfait et paient l’ouvrage deux cents pistoles, rarement plus ; mais ce mode de rétribution est le moins usité ; l’auteur devient momentanément sociétaire, et touche une ou deux parts d’acteur, tous frais déduits. En 1685, le nombre des parts fut définitivement fixé à vingt-trois. Quant aux droits d’auteur, de nombreux règlemens, des arrêts du conseil d’État les fixèrent ; mais l’habileté des comédiens en fit trop souvent de simples chiffons de papier ; en réalité, leurs pourvoyeurs restent à leur merci, et ils en abusent à cœur joie. Falsifier les recettes par des entrées et des