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Vaisseaux de suite (Escadre blanche).

Le Journal de Paris (lougre), d’Ussieux, 10 canons ; — le Public (bombarde), capitaine Parterre.

« Le capitaine Raucourt, corsaire, monte la Sophie (Sophie Arnould), avec trois cents volontaires, commandés en second parle lieutenant Florence (le prince d’Hénin). Il vient de se joindre à l’escadre noire, mais ce bâtiment qui tombe en pourriture, quoiqu’il soit calfaté tous les jours, a une voie d’eau si considérable qu’on ne croit pas qu’il puisse tenir la mer longtemps… »

Suit une description nautique de la défaite de Sainval. Celle-ci se console en jouant avec un prodigieux succès dans les grandes villes de province[1] ; sa sœur cadette va la voir, se réconcilie avec elle, et, à son retour, est accueillie par des applaudissemens si vifs qu’elle tombe évanouie sur la scène. On joue Tancrède, et, à chaque instant, le parterre fait entendre ce cri : les deux Sainval ! enchanté de narguer le duc de Duras qui se dissimule au fond de sa loge ; pour comble d’ennui, Linguet l’appelle le bâtonnier des comédiens, le crible d’épigrammes qui courent les salons, et comme le maréchal, outré de colère, le menace du bâton : tant mieux, repart le publiciste, je serais fort aise de lui voir faire usage de son bâton de maréchal une fois dans sa vie. Cependant que sergens et gardes répandus dans toute la salle du Théâtre-Français n’empêchent point les manifestations hostiles de continuer. Est-on de tragédie aujourd’hui ? demandaient les gens de garde, tantôt battant, tantôt battus.

De cette iliade tragique naquirent d’interminables incidens : démission de Préville et de sa femme, brouille de Larive et Ponteuil, émeutes du parterre, lutte nouvelle entre Mme Vestris et Sainval cadette ; celle-ci se plaignit que sa rivale la traitât comme si elle arrivait à la Comédie pour lui porter la queue, demanda sa retraite pour lui procurer le plaisir de dire : je me suis défaite des deux sœurs, — réponse de Gerbier, lettre de Clairon, consultation de Tronçon du Coudray et de Target, procès en diffamation arrêté par la cour qui finit par imposer silence à ces dames. Dans l’intervalle, s’était opéré un rapprochement entre Raucourt et Vestris qui jadis avait de toutes ses forces cabale contre celle-ci. Éclatans en effet furent ses débuts (1772-1773), excessif aussi l’enthousiasme du public pour l’élève de Brizard[2] et Clairon ;

  1. Detcheverry, Histoire des théâtres de Bordeaux.
  2. Brizard avait naturellement des cheveux gris qui lui permirent à trente ans de se charger des rôles de vieillard dans les tragédies : il est comme Samson, observait malignement d’Alembert, toute sa force est dans ses cheveux.