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pas superflu d’en montrer l’influence toujours vivante et d’en dégager les élémens à jamais durables.


I

La psychologie de Descartes n’est point celle des écossais ni des éclectiques, c’est la psychologie physiologique de notre époque, dont on peut le considérer comme le fondateur. Pour Descartes, il n’y a pas de psychologie détachée, qui serait indépendante de la métaphysique d’une part, de la physiologie de l’autre. Étudiez-vous les faits particuliers et les lois particulières de la vie intérieure, les passions et les émotions, tout ce qui provient de ce que l’esprit est uni à la matière et « ne fait qu’un avec elle, » alors, les mouvemens de l’organisme rendront compte de ce qui, dans nos états internes, peut devenir l’objet d’une vraie science. Étudiez-vous la pensée et ses lois radicales, ce que Descartes appelle les a principes de la connaissance humaine, » identiques aux principes de l’existence telle que nous pouvons la saisir ; alors vous êtes en pleine métaphysique. De même, lorsque vous étudiez la volonté libre, avec sa puissance infinie en Dieu et même chez l’homme. Les phénomènes de la nature humaine sont donc, pour Descartes, ou tout intellectuels et métaphysiques, ou tout corporels et mécaniques. Ou plutôt, ils sont toujours à la fois une série de « pensées » et une série de « mouvemens. »

On peut considérer le Traité des passions de l’âme comme le premier modèle de la psychologie scientifique aujourd’hui en honneur. La physiologie, en effet, n’y tient pas moins de place que la psychologie même. La théorie de l’association ou liaison des idées, expliquée par la liaison des traces du cerveau et par le mécanisme de l’habitude, se trouve esquissée dans Descartes, très développée chez Malebranche et Spinoza ; si bien que cette théorie prétendue anglaise est encore cartésienne. Mais, chez Descartes, tout tend à cette forme déductive que Spinoza devait, dans son Éthique, adopter en l’exagérant. Spinoza a fait la géométrie des passions, Descartes en a fait la physiologie.

Supposez, dit Descartes, un pur esprit, comme celui d’un ange, dans un corps humain, mais conservant son caractère « d’âme distincte, » il n’aurait pas « les sentimens tels que nous ; mais il percevrait seulement les mouvemens causés par les objets extérieurs ; et par là, il serait différent d’un véritable homme. » Nos sentimens et nos sensations sont donc les représentations obscures des mouvemens utiles ou nuisibles à la vie et tiennent à ce que nous ne sommes pas des intelligences « distinctes. » La passion proprement dite ou émotion est un état de conscience confus, « une