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les effets ; nous contre-balançons une pensée par une autre pensée, une passion par une autre passion. Toutes vérités confirmées par la psychologie contemporaine.

Non moins remarquables sont et la classification et l’analyse des diverses passions de l’âme. On sait que Descartes ramène tout à six passions primitives : l’étonnement, l’amour, la haine, le désir, la joie et la tristesse. L’étonnement est, pour ainsi dire, une passion préliminaire qui devance toutes les autres, parce qu’elle est l’espèce de choc nerveux et intellectuel produit par un objet nouveau, avant même que nous connaissions ce que cet objet a d’avantageux ou de nuisible et que nous puissions aussi l’avoir en amour ou en aversion. On n’a guère compris ce qu’il y a de vérité dans cette théorie de Descartes sur l’étonnement ; ne rappelle-t-elle pas, cependant, les doctrines des psychologues contemporains ? Ceux-ci, avec Spencer, considèrent le choc nerveux comme le phénomène fondamental du côté physiologique ; et du côté psychologique, ils considèrent le sentiment de la différence ou de la nouveauté, par conséquent « l’étonnement, » comme le corrélatif mental du choc nerveux. C’est donner raison à Descartes. L’étonnement est, pour ainsi dire, la passion de l’intelligence ; les cinq autres passions sont plutôt celles de la volonté, puisqu’elles dérivent de ce que l’objet nouveau qui nous a plus ou moins surpris « se trouve être bon ou mauvais pour nous. » Dans cette nouvelle catégorie de passions, c’est, selon Descartes, l’amour qui est primordial ; la haine n’est qu’un amour se dirigeant à l’opposé d’un obstacle ; le désir est l’amour de ce que nous ne possédons pas encore ; la joie et la tristesse sont les sentimens causés par la présence ou par l’absence de l’objet aimé. Otez l’amour, dira Bossuet, vous ôtez toutes les passions ; posez l’amour, vous les faites naître toutes. Et c’est encore ce que confirme la psychologie contemporaine.

En se combinant, les passions primitives produisent en effet toutes les autres. Descartes excelle à l’analyse de ces combinaisons subtiles et à l’explication des cas les plus embarrassans. Pourquoi, par exemple, trouvons-nous du plaisir jusque dans la fatigue des jeux où il faut de la force et de l’adresse, jusque dans les larmes versées à la vue de quelque grand malheur représenté sur la scène ? — L’âme se plaît, répond Descartes, « à sentir, émouvoir en soi des passions, de quelque nature qu’elles soient, pourvu qu’elle en demeure maîtresse. » Si nous lisons « des aventures étranges dans un livre, » nous éprouvons tantôt de la tristesse, tantôt de la joie, de l’amour, de la haine, « et généralement toutes les passions, selon la diversité des objets qui s’offrent à notre imagination ; » et pourquoi avons-nous du plaisir « à les sentir exciter en nous, » même les plus tristes ? C’est, dit Descartes, que