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fond sur sa déférence aux désirs maternels, sur son obéissance passée, et elle ne doutait pas de le voir, au premier signe, accepter l’alliance qu’elle lui imposerait.

Déjà, en 1826, elle avait espéré le marier à sa cousine Charlotte, fille de Joseph Bonaparte, et dont elle trace un portrait qui n’a rien de flatteur : « Une hideuse petite créature, dit-elle, et, avec cela, un caractère du diable. » Il est vrai que, quand elle en parle ainsi, le mariage projeté n’a pas abouti et la princesse Charlotte manifeste un penchant très prononcé pour un autre prétendant. Il convient d’ajouter aussi que les négociations matrimoniales ont fort traîné en longueur. Mme Bonaparte avait chargé un de ses amis, de la maison Rothschild, de prendre des renseignemens minutieux sur la situation de fortune de Joseph : « On annonçait, dit-elle, une dot de 3,500,000 francs ; pour moi, je n’y croyais pas, mais j’étais bien décidée à ne donner Jérôme que contre un million comptant. Ce n’est pas moi que l’on bernera avec des promesses et des espérances. » Quand les renseignemens demandés lui parvinrent, il était trop tard, « et puis, ajouta-t-elle, ils n’étaient pas satisfaisans. »

Elle cherchait ailleurs, et croyait toucher au but de ses efforts quand, au commencement de septembre 1829, elle reçut une lettre de son père lui annonçant que Jérôme-Napoléon venait de se fiancer avec miss Williams, fille d’un négociant de Baltimore, et que le mariage serait célébré en octobre. Ce projet anéantissait tous ses rêves d’avenir, c’était la ruine de ses dernières espérances ; après le père, le fils la trahissait. Aussi l’on voit dans ses lettres que, si elle avait eu le pouvoir de briser cette union, comme l’empereur avait brisé la sienne, elle n’eût pas hésité à recourir aux mesures arbitraires contre l’illégalité desquelles elle protestait depuis un quart de siècle. Sa réponse à son père est un cri de désespoir. Elle serait à son lit de mort, dit-elle, agonisante et sans souffle, que Dieu, par un miracle, lui rendrait la parole pour protester contre cette union. Jamais, avec son consentement, Jérôme n’épousera une Américaine. Le neveu de Napoléon, ajouta-t-elle, n’a pas d’égal en Amérique. En Angleterre, il pourra choisir une femme dans les familles de la plus haute aristocratie. Elle-même n’a-t-elle pas eu vingt fois l’occasion de contracter les plus riches alliances ? Elle a refusé de se remarier ; le pouvait-elle avec le nom qu’elle portait ? « Dieu sait, écrit-elle, si je hais la pauvreté et l’isolement ; j’ai accepté l’une et l’autre, et ni l’une ni l’autre n’ont brisé mon orgueil et n’ont fait plier ma volonté au point de me réduire à accepter un mari dans une situation inférieure à la