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conduite, à elle, vis-à-vis de sa famille. Elle entend vivre à sa guise, dans le milieu qui lui plaît, le seul où elle puisse oublier les amertumes dont elle a été abreuvée. Elle prie donc son père de lui envoyer un modèle de testament rédigé de façon à assurer sa fortune à son fils, toutefois sans réversion possible sur la tête de sa belle-fille. Elle devait lui survivre de sept années et laisser à ses-petits-fils une fortune de sept millions et demi.

Sa correspondance éclaire d’un jour cru, mais vivant et vrai, le caractère de cette Américaine que les circonstances ont empêchée de jouer un rôle important. Comparse reléguée hors de la scène sur laquelle s’agitaient les destinées de l’Europe, elle y eût fait grande figure. Le calme et l’obscurité du foyer domestique n’étaient nullement son fait ; elle l’affirme et l’on n’y saurait contredire.

Belle-sœur de l’empereur, femme d’un roi, une couronne au front, elle l’eût défendue avec une énergie virile. Le prince Gortschakof ne s’y trompait pas : a Avec cette femme-là sur les marches du trône, disait-il, le renversement de l’empire nous eût donné bien plus de peine, » et Talleyrand ajoutait : « Quelle reine c’eût été ! » Napoléon ne la connaissait pas ; il s’est trompé en estimant que son frère avait fait une mésalliance. Elle savait qu’il n’en était rien et ne s’est pas fait faute de le dire et de l’écrire.


III

Depuis l’époque où Elizabeth Patterson parlait avec tant de dédain de la médiocrité des fortunes américaines et aussi du rôle effacé de la femme mariée aux États-Unis, bien des changemens se sont produits. Ces fortunes américaines sont devenues les premières du monde, et cette société dont elle trace un portrait dicté par ses rancunes et qu’elle accuse, à tort d’ailleurs, de reléguer la femme dans des occupations vulgaires, a fait à la femme une place bien autrement large que celle qu’elle occupe en Europe. Nul n’a mieux mis en relief ce dernier point que le professeur Bryce dans son intéressant ouvrage intitulé American commonwealth ; il y a noté, avec une précision rigoureuse, le contraste entre la situation-sociale et légale de la femme aux États-Unis et de la femme en Angleterre, contraste d’autant plus frappant que les États-Unis ont reçu de l’Angleterre, avec ses traditions sociales, ses mœurs et ses coutumes, son code et son old common law. Or, cet old common law faisait alors, de la femme, la chose, la propriété de l’homme, inférieure à lui, en tout subordonnée. Ils n’étaient qu’un, mais