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A-t-elle seulement la valeur mystique qu’on lui prête quelquefois encore ! Et, si nous avons tant fait que de rendre à Joseph de Maistre tout l’honneur de son paradoxe, lui ferons-nous celui de le prendre au sérieux ? Utile et souvent nécessaire, pieuse encore même, et sainte, si l’on veut, conviendrons-nous cependant que la guerre soit « divine ? » Y verrons-nous une loi du monde ? Croirons-nous que l’homme s’y régénère ? Et, quelques bienfaits que nous lui devions, nous cacheront-ils les maux qu’ils ont coûtés ? Combien ici je préfère, aux brillantes variations de l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg, la parole toute simple de celui de la Politique tirée des paroles de l’Écriture sainte ! Il vient de traiter, aussi lui, de la guerre, — en quatre longs articles, qui font ensemble trente-trois propositions, — de ses justes motifs, des règles que l’on y doit suivre, des raisons du Dieu de Jacob pour avoir donné à son peuple élu « des rois belliqueux et de grands capitaines » quand, tout à coup, comme inquiet, surpris, étonné de la force de son discours, il s’arrête, il réfléchit, et il conclut par ces paroles, où l’on croirait entendre combattre son respect du texte biblique et son humanité : « Dieu, néanmoins, après tout, n’aime pas la guerre et préfère les pacifiques aux guerriers. » C’est lui qui a raison ! Ne craignons ni la mort ni la guerre. Mettons beaucoup de choses, le plus de choses que nous pourrons, — la gloire, l’honneur, la patrie, le devoir, — au-dessus de l’horreur instinctive que la guerre et la mort nous inspirent. Allons même au-devant d’elles. Mais ne nous félicitons pas d’être obligés d’en subir les lois. La guerre n’est pas divine, si du moins on entend par là qu’en expiation de quelque crime autrefois commis, un Dieu demanderait notre sang. Elle n’est pas humaine, si quelques heures lui suffisent pour anéantir des années ou des siècles de travail humain accumulé. Elle n’est que naturelle, — et c’est pour cela même, si je l’ose dire, qu’elle n’est ni divine ni surtout humaine.

Je touche ici le point le plus faible, à mon sens, du livre de M. Gumplowicz, et, généralement, de toute sociologie qui se réduit à n’être, comme la sienne, qu’une histoire naturelle de l’humanité. Non point du tout que je veuille essayer de faire contre lui l’apologie du progrès à l’infini. L’homme a toujours été et sera toujours homme. Il ne triomphera point des lois de sa nature, et sa nature en son fonds ne cessera pas d’être identique à elle-même. Les mêmes instincts l’animeront toujours, et toujours aussi les mêmes passions l’agiteront. Mais il n’en est pas moins vrai que, depuis six mille ans qu’il sait quelque chose de son histoire, l’homme a pourtant vu quelques changemens s’accomplir dans sa condition. Ce qui est encore plus certain, c’est que tous ces changemens