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LE SECRET DU PRÉCEPTEUR. 499

pour se gagner le cœur de mon mari... Eh ! que ne l’a-t-elle épousé !

— Vous savez bien qu’elle a pour vous une chaude et sincère affection.

— Eh ! oui, je le sais, mais il ne suffit pas d’aimer les gens, il faut les aimer comme ils désirent qu’on les aime.

— Mais vous-même, s’il vous plaît...

— Permettez, ma belle-mère, ma sœur, je sers tout le monde à son goût, et croyez bien que le genre de sentiment que j’ai pour Louis suffit absolument à son bonheur. Dès le lendemain de notre mariage, nous avions l’un pour l’autre tout le charme d’une vieille habitude.

Puis s’échauffant par degrés :

— Mon Dieu ! oui, je l’aime, je l’aime, je répéterai le mot dix fois pour me le faire entrer dans la tête, mais je n’en suis pas amoureuse. Je ne m’y suis engagée ni à la mairie, ni au pied des autels, et il n’a pas songé à me le demander. Vous vous donnez l’air de le plaindre ; soyez sûr qu’il est parfaitement heureux ; il a ses affaires, qui l’intéressent beaucoup ; il a sa mère, qu’il adore ; il a pour passe-temps sa chère botanique et Sidonie... Ah ! si vous les voyiez herboriser ensemble, vous ne seriez plus tenté de croire qu’il manque quelque chose à son bonheur.

— Mais pourquoi n’est-ce pas vous qui herborisez avec lui ?

— Ah ! cette fois, vous êtes trop exigeant. Si la femme aux rubans rouges n’aime que les dahlias, il n’aime, lui, que les petites fleurs qu’on n’aperçoit qu’à la loupe et qu’il faut chercher deux heures à genoux dans les gazons ; il paraît que ce sont de beaucoup les plus intéressantes. Pardonnez à ma sottise, j’aime les fleurs qu’on peut peindre. Ne disputons pas sur les goûts, et qu’il soit heureux à sa manière ! Pour moi, je le serais tout à fait si je parvenais à lui inoculer deux ou trois gros défauts qu’il n’aura jamais, et à donner à ma belle-mère une bonne paralysie de la langue. Vous voyez que je suis facile à contenter.

J’avais craint un moment qu’elle ne se fâchât ; à peine le tonnerre avait-il grondé au loin, l’orage s’était dissipé, le ciel s’était éclairci, et les oiseaux chantaient. Elle avait recouvré sa belle humeur, et elle finit par me dire :

— Encore une fois, j’apprends la patience, et mes ennuis ne dépassent pas ce que peut supporter ma philosophie naturelle. Je me porte bien, je mange, je bois, je dors, je peins, je ris, et pardessus le marché, j’ai revu mon bon chien, avec qui j’ai soulagé mon cœur. S’il n’arrive rien de fâcheux, et surtout si le diable ne s’en mêle pas, je me sens capable de vivre vingt ans de suite comme je vis. Je vous le répète, mon état d’âme, comme dirait