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LE SECRET DU PRÉCEPTEUR. 501

sortir un petit Ter gris, semblable à un cocon. Cet insecte souple, mou, fort bénin en apparence, était le grand dévastateur, et comme lui, par des moyens doux et avec les meilleures intentions du monde, Sidonie était en train de ravager mon jardin. L’irritation qu’elle causait à Monique par ses rapports trop suivis et trop intimes avec M me Isabelle, peut-être aussi par l’intérêt trop vit qu’elle prenait aux leçons de botanique de son beau-frère, pouvait avoir de lâcheux effets ; il était à craindre que cette jeune femme, qui faisait quelquefois payer les innocens pour les coupables, ne se vengeât sur son mari des déplaisirs que lui donnait sa sœur. L’amitié un peu journalière qu’elle avait pour lui était une petite plante délicate et fragile, et je n’entendais pas que le ver gris y touchât.

Je profitai du premier moment où je me trouvai seul avec Sidonie pour lui exprimer mes inquiétudes. Elle m’écouta avec plus d’étonnement que d’attention. Si elle avait le cœur droit et sincère, elle n’avait pas la conscience tendre. Elle me représenta qu’en se rendant agréable à M me Isabelle, elle travaillait à lui adoucir le caractère, que quand elle herborisait avec M. Monfrin, elle ne manquait aucune occasion de lui faire l’éloge de Monique et de lui expliquer par quels moyens il l’accoutumerait à réagir contre elle-même.

— Si Monique était raisonnable, ajouta-t-elle, elle me saurait gré des services que je lui rends.

— Eh ! oui, lui dis-je, mais on a ses nerfs, et les nerfs jouent un grand rôle dans la vie.

Je ne réussis pas à la convaincre ; je me heurtai contre le doux et placide entêtement d’une sagesse qui se croyait infaillible. Persuadée de la sûreté de sa méthode et de la bienfaisante vertu de ses lénitifs, de ses émolliens, elle ne répondit à mes remontrances que par un sourire d’incrédulité. Elle n’était pas assez femme pour deviner ce qui se passait dans les nerfs de son prochain, elle l’était trop pour ne pas s’obstiner dans ses partis-pris.

Je n’insistai pas pour le moment, il n’y avait point péril en la demeure. Je me rendais à Beauregard presque chaque jour, j’y restais une heure ou deux et j’en rapportais de bonnes impressions. Monique avait ses quintes, mais sa gaîté d’autrefois lui revenait bientôt, et si elle brusquait souvent son mari, elle avait pour lui des attentions, des prévenances, qui le touchaient profondément et le consolaient de tout. Quand elle était gaie, il était tenté de l’en remercier comme d’un acte de vertu, et quoiqu’on l’accusât de ne savoir pas rire, ses yeux riaient quelquefois. Du reste, convaincu que je ne pouvais exercer sur sa femme qu’une salutaire influence, il était charmé que je la visse souvent, et il