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travaux d’excavation, passe des contrats pour les transports, — plusieurs de ces contrats nous ont été conservés, — et expédie pour Rome les blocs à mesure qu’ils sont retirés et dégrossis. Dans une de ses plus belles poésies, Buonarroti a parlé magnifiquement de « ces vivantes figures qui, des profondeurs silencieuses de la pierre, remontent lentement à la lumière du jour, sous les coups redoublés du marteau : » au milieu de ces bancs de marbre ligurien, en lace du golfe azuré, que de figures vivantes ainsi voilées encore et que de coups de marteau à donner ! .. Un jour même, il a l’étrange pensée de tailler en forme humaine toute une montagne, tout un immense rocher, fièrement campé entre Carrare et la mer, et de la faire servir de phare aux navigateurs de la Riviera… Nous touchons au colosse de Rhodes, aux ouvrages de Cyclopes.

Une œuvre tout autrement colossale et cyclopéenne venait, en attendant, d’être décidée sur les bords du Tibre…

Dans les fréquens entretiens du mois de mars (1505) au sujet du monument, la question de l’emplacement a été plus d’une fois posée et finalement résolue à la satisfaction du pape aussi bien que de l’artiste : le tombeau de Jules II ne pouvait être érigé ailleurs que dans cette basilique du Vatican où reposaient, avec le prince des apôtres, les plus grands pontifes de la chrétienté. Les nefs de l’église ne sont pas assez larges ni assez hautes, il est vrai, pour abriter l’immense pyramide en préparation ; mais déjà Nicolas V avait fait commencer des travaux pour l’agrandissement du chœur (abside ou tribune) : on reprendra les travaux interrompus depuis longtemps, on les mènera promptement à bonne fin, et de manière à se ménager tout l’espace désirable. Après le départ de Michel-Ange pour Carrare, le pape continue à débattre la matière avec ses architectes, avec Giuliano da San-Gallo notamment et Bramante ; mais des objections se font jour alors, des inconvéniens surgissent de toutes parts ; l’abside de Nicolas V ne paraît qu’un expédient médiocre et d’un effet douteux ; et c’est ainsi qu’à la suite d’un long échange d’idées, Jules II en arrive à une décision hardie, inoubliable. Il décide d’abattre complètement l’ancienne basilique et d’en construire une toute nouvelle e più bella e più magnifica, comme le dit placidement ce bon Condivi. Maître Donato da Urbino, surnommé il Bramante, promet, en effet, de faire une merveille, un prodige, un vrai miracle en pierre : il ne songe à rien moins qu’à élever en l’air le Panthéon d’Agrippa et à le suspendre au-dessus de ce Tempio della Pace dont les arcs ruinés font l’admiration et l’épouvante de tout visiteur du Forum…

Abattre la basilique élevée par les mains de Constantin le Grand et du pape Sylvestre ! Démolir l’église à laquelle étaient attachées les