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pont des Anges sur la rive droite du Tibre. La galerie n’était pas des plus régulières et faisait un coude près l’église Santa-Maria-Transpontina, — je me figure qu’elle ressemblait quelque peu à cette suite d’arcades qui, à Bologne, va de la porte Saragozza jusqu’aux hauteurs de la Madonna di San-Lucca : — mais qu’elle devait être bien appréciée par tous ceux qui


Dall’ un lato tutti hanno la fronte
Verso il Castello, e vanno a San-Pietro,
Dall’ altra sponda vanno verso ’l monte…


Comment les successeurs du pape Alexandre VII n’ont-ils pas songé à relever un ouvrage qui, outre son utilité évidente, eût encore rehaussé la splendeur de cette place déjà unique au monde ? Imaginez, au lieu de l’affreux pâté de maisons entre les deux rues de Borgo vecchio et Borgo nuovo, un double portique allant de la Piazza Pia rejoindre la colonnade de Bernini : quels propylées pour le Parthénon chrétien, et que la coupole de Michel-Ange, aujourd’hui écrasée par le manque d’une perspective convenable, apparaîtrait alors du plus loin dans toute sa majestueuse grandeur !… Il n’a pas dépendu du comte de Tournon, le vigoureux et intelligent préfet de Rome pendant la captivité de Pie VII, que ce magnifique programme ne fût réalisé au commencement de notre siècle : le décret de Napoléon sanctionnant le projet porte la date du 8 août 1811 ; la fatale campagne de Russie en décida autrement.

Je me suis donné aujourd’hui la mélancolique distraction de rebâtir par la pensée, et sur les lieux mêmes, l’ancienne basilique de Saint-Pierre telle que l’avait connue la génération de Jules II avant l’arrêt suprême de 1505. Le second volume de Bunsen[1] m’a été un guide des plus précieux dans cette promenade archéologique, et m’a surtout fait saisir au vif la fortune extraordinaire de ce petit coin de terre aux origines si humbles et aux destinées si merveilleuses. Le Capitole et le Palatin, le Quirinal, l’Aventin et le Cœlius, l’Esquilin et le Viminal brillaient d’un éclat déjà dix fois séculaire, que le Mons Vaticanus était encore « hors les murs » et hors l’histoire : Tite-Live n’en fait presque pas mention. Deux noms seuls, — l’un le plus pur, l’autre le plus abject des annales romaines, — avaient laissé des souvenirs dans la région au-delà du Tibre : Cincinnatus y avait cultivé son modeste champ (prata Quinctia), et Néron y avait allumé ses torches vivantes de martyrs chrétiens. La

  1. Qu’il importe toutefois de corriger en bien des endroits d’après les travaux plus récens de MM. de Rossi, Müntz, Stevenson, Kirsch, etc.