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leurs adversaires se plaisent à marquer le front des catholiques ? Pour que l’analogie soit plus complète, de même qu’on accuse la hiérarchie romaine, avec ses évêques, ses prêtres, ses moines, d’avoir une organisation internationale incompatible avec l’unité de l’État, n’a-t-on pas accusé Israël de constituer une autre internationale aux chefs occultes, qui ne vise à rien moins, elle aussi, qu’à la conquête du monde et à l’assujettissement des nations ?

J’ai déjà signalé la ressemblance de l’antisémitisme avec l’anticléricalisme. Entre ces deux frères ennemis, on reconnaît encore ici un air de parenté. Il y a une similitude frappante entre les attaques des antisémites contre les Juifs et les diatribes des anticléricaux contre la papauté. C’est souvent même langage, mêmes formules, mêmes conclusions, si bien que les ennemis d’Israël et les ennemis du Vatican n’auraient guère que les noms à changer dans leurs réquisitoires contre l’Église, ou contre la Synagogue. Comme l’antisémite dit aux Juifs que leur patrie est Jérusalem, l’anticlérical répète au catholique, au prêtre, au moine, que leur patrie est Rome. De tous deux, du Juif et de l’ultramontain, on assure qu’ils forment un État dans l’État, imperium in imperio. Contre tous deux, on fait appel aux passions nationales, on réclame des mesures de protection, c’est-à-dire des lois restrictives. La différence est que, d’habitude, ceux qui dénoncent le péril juif ne sont pas les mêmes que ceux qui signalent le péril romain. Encore, dans les pays protestans ou orthodoxes, en Russie, par exemple, où l’on n’a pas beaucoup plus de goût pour Rome que pour Sion, les mêmes défiances sont témoignées, par les mêmes bouches, à Juda et à Rome, au Kahal et au Gesù[1].

Nous ne sommes pas de ceux qui croient que le Juif ou le jésuite mettent en péril la nationalité des peuples, ou l’indépendance de l’État. Que ce soit contre Juda, ou contre Loyola, nous n’apercevons pas la nécessité de lois d’exception. Nous avons assez de foi dans la liberté pour croire que, vis-à-vis d’Israël et vis-à-vis de Rome, le droit commun suffit. Il y a trop de forces en lutte dans le monde moderne pour que le Kahal ou le Gesù en fassent la conquête. Je dirai plus ; nous n’avons pas d’aversion pour tout ce qui tend à chevaucher par-dessus les frontières. Il nous semble que, par ce temps d’exclusivisme national où chacun semble vouloir se calfeutrer chez soi, il n’est pas mauvais de percer des jours à travers les murailles qui séparent les peuples. C’est là, entre

  1. De même, en Angleterre, lors de l’émancipation des catholiques et lors de l’émancipation des Juifs, le principal argument des opposans était celui-ci : « Vous allez introduire dans le parlement britannique des hommes qui représentent un esprit étranger, des intérêts étrangers. Le Vatican aura voix à Westminster, etc. »