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eût vécu toute sa vie avec délices. Cela veut dire qu’il a de l’imagination et l’inintelligence absolue de la notion du ridicule. Ce sont les deux qualités essentielles du poète lyrique. De cette méthode poétique, voyons quelle philosophie de l’histoire est sortie.

Ballanche est chrétien ; Vico, et, un peu, le monde intellectuel de 1820 lui ont donné l’idée du progrès ; la haine et l’effroi de la révolution française persiste chez lui : il faudra que tout cela se retrouve, mais en s’accommodant, dans son système historique. Peu à peu, voici comment tout cela, en effet, s’est ajusté. Le christianisme a raison : l’homme est un être déchu. Les « mythes généraux de l’humanité » sont là-dessus d’accord. Partout vous retrouvez : la punition d’une première faute, le travail imposé à l’homme après une période de bonheur dans l’oisiveté, la science acquise au prix du malheur. Partout vous retrouvez l’être supérieur qui subit la mort, un autre être supérieur cherchant ça et là et recueillant les membres dispersés de cette victime (mythes de l’Inde, mythes égyptiens, mythe orphique, mythe chrétien). Partout vous retrouvez : tache originelle, travail imposé, expiation. Voilà le commencement des choses et voilà le commencement de la philosophie éthique. — Mais poursuivons. Ce travail imposé, c’est une punition, sans doute, mais c’est une expiation aussi. Qui dit expiation dit réhabilitation. Interrogez les mythes encore : ils vous diront tous que l’être qui expie s’épure, se sanctifie, se divinise. Le christianisme ne l’a pas dit peut-être assez clairement ; mais on peut le lui faire dire. Et c’est ici qu’intervient l’idée du progrès. Le progrès, c’est expiation, purification, relèvement. L’homme n’en aurait pas l’idée s’il n’avait celle d’une nécessité de s’amender. Il ne cherche à s’élever que pour obéir à un besoin de se relever. S’il n’était pas tombé, il ne ferait pas d’efforts vers un plus haut, Progressiste qui constatez le besoin du progrès invincible chez l’homme, c’est à ce point initial que vous balbutiez. D’où est né ce besoin ? Vous répondez : l’homme est fait ainsi, et peut-être tout ce qui est ; tout ce qui est tend à un mieux ; une première impulsion, un premier mouvement est né de cette tendance, et le progrès a commencé. De tout ce qui est, sauf l’homme, ceci est simplement faux. La loi du monde est persévérance dans l’être tel qu’il est par indéfinie reproduction, c’est-à-dire que la loi du monde, sauf l’homme, est répétition. La loi de l’homme est progrès. Pourquoi ? Parce qu’il a à remonter ; parce qu’il sent en lui le souvenir d’une chute, ce qui lui donne l’instinct de relèvement ; le souvenir d’un abaissement, ce qui lui donne l’instinct d’un redressement ; le souvenir d’une perte, ce qui lui donne l’idée d’une récupération. Dans tous les sens du mot, quand il progresse, il répare. Ses