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sans rencontrer de sérieux obstacles. Le propre d’une artère fluviale est d’avoir une surface calme. Or cette partie du fleuve, sans courant marqué, avec l’immense largeur de son lit qui dépasse souvent 1 kilomètre, a l’aspect d’un lac. Le vent soulève fréquemment des vagues qui clapotent le long des penelles découvertes. Le marinier doit faire attention aux vents, ne pas partir tous les jours et, quand il part, prendre la précaution de surélever artificiellement les bordages ou de ne charger qu’incomplètement sa penelle. D’où une augmentation de dépenses dans le premier cas, une diminution de recettes dans le second, et dans les deux une surélévation des prix. D’un autre côté, tantôt des bancs de poudingues, tantôt des hauts fonds barrent la navigation maritime à grand tirant d’eau. Ainsi Saint-Louis est une porte magnifique, mais cette porte ne donne sur rien. La penelle ne peut y venir prendre le chargement du navire de mer, car le fleuve n’est pas assez calme, et, faute de fond, le steamer ne peut continuer sa route. La navigation fluviale finit donc à Arles, la navigation maritime ne commence qu’à Saint-Louis, et cet hiatus ne peut être comblé que par l’emploi entre Arles et Saint-Louis de chalands spéciaux d’un usage plus coûteux que les bateaux destinés à circuler sur les canaux, ce qui nécessite le transbordement de la marchandise si on veut la confier, à partir d’Arles, à l’économique penelle.

Quant aux relations par mer entre Marseille et Saint-Louis, elles sont loin d’être aisées et régulières. Employer pour ce service des bateaux à vapeur de grandes dimensions serait immobiliser pendant les opérations répétées de chargement et de déchargement des capitaux relativement considérables sans qu’il soit possible de compenser, sur un parcours aussi restreint, ces pertes d’intérêts. Si, pour éviter des frais généraux aussi excessifs, on utilisait des navires à vapeur de moindre tonnage, on se heurterait à une autre difficulté, celle de réunir le fret spécial qui convient à ce genre de caboteurs. Aussi les transports se font-ils surtout par chalands remorqués. Les grosses mers, fréquentes dans ces parages, ont pour effet de rendre le remorquage impossible, pendant quatre-vingt-dix ou cent jours par an, quelles que soient d’ailleurs la forme et la résistance des bateaux employés : — « L’expérience a démontré, dit une personne très autorisée, que l’on ne peut compter en aucune saison sur une traversée pour le lendemain. Le remorquage entre Marseille et le Rhône, c’est l’incertitude à l’état chronique, c’est la nécessité d’un excédent considérable de matériel et d’une augmentation notable des stocks de marchandises, avec un service toujours incommode. »