Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/629

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui représente les trafics respectifs des voies navigables françaises. Alors que les réseaux du Nord et de l’Est s’épanouissent comme les larges feuilles d’un palmier, il semble que le Rhône forme le tronc mince, élancé, presque malingre, d’où part cette frondaison luxuriante sous le poids de laquelle il paraît succomber. Cette représentation est d’autant plus frappante que l’ensemble des marchandises déposées à Marseille couvre une superficie relativement énorme et que l’on est ainsi conduit à se demander pourquoi la voie du Rhône, toute proche, n’en absorbe pas une plus grande partie. Il s’agit donc, en réalité, de parachever une œuvre qui a déjà coûté d’importans sacrifices, sacrifices beaucoup plus élevés que le dernier qui reste à consentir et auquel il est réservé de faire porter aux autres tous leurs fruits.

Si l’on tarde, le mal peut devenir irréparable, et le commerce français entier en portera la peine à jamais ; car les courans commerciaux, une fois détournés, ne peuvent plus être ramenés dans leurs anciens lits et les marchandises oublient pour toujours le chemin qu’on leur a laissé désapprendre.

À mon sens, nous avons grandement tort de ne pas nous préoccuper suffisamment de ce qui se passe au-delà de nos frontières,.. de ne pas voyager. Nous sommes les victimes trop résignées des petits intérêts coalisés, des passions de clocher, des exigences électorales et de l’inertie administrative. Aussi considère-t-on volontiers comme des trouble-fêtes, comme des oiseaux de mauvais augure, ceux qui, obligés par profession à parcourir les mers et à entrer en contact direct avec les peuples étrangers, constatent leurs progrès, établissent des comparaisons et poussent des cris d’alarme.

Si nous persévérons dans nos erreurs, si nous nous abandonnons aveuglément au « zèle iconoclaste des démolisseurs d’accords commerciaux, » si nous nous endormons dans une coupable quiétude et dans une confiance irréfléchie en la pérennité de notre situation acquise, nous nous exposons sûrement à un triste réveil.


J. CHARLES-ROUX.