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confiance ingénue qu’il accordait ainsi, en bloc, à tout l’ensemble des traditions et des faits que nous ont transmis les lettres grecques ; mais, grâce à sa persévérance acharnée et aux ressources dont il disposait, cette confiance l’a merveilleusement servi, lorsqu’il a commencé de remuer, jusque dans ses dernières profondeurs, le sol des cités primitives, de creuser ces tranchées d’où il prétendait exhumer les héros d’Homère ou tout au moins leur dépouille mortelle. Là où se serait arrêté l’esprit critique, qui sait que l’on trouve presque toujours autre chose que ce qu’on cherche, il s’est entêté ; le plus souvent, l’événement lui a donné raison. Il n’a jamais distingué nettement le possible de l’impossible, le probable de l’invraisemblable, et cette foi a non pas transporté, mais transpercé les montagnes, celles qui sont faites des ruines des vieux édifices et de la poussière des générations d’autrefois.

Ce fut en 1868 que Schliemann visita, pour la première fois, son Homère et son Pausanias à la main, la Grèce et la Troade. L’année suivante, dans un volume intitulé : Ithaque, le Péloponnèse et Troie, il exprimait, au sujet de Mycènes et de Troie, des idées dont la justesse a été démontrée par ses fouilles ultérieures. Dès lors, s’écartant de l’opinion la plus accréditée, il avait deviné que l’on faisait fausse route en s’obstinant à placer Troie au-dessus de Bounarbachi, sur le Balidagh, loin de la mer, et que si, comme il en était convaincu d’avance, les murs en subsistaient, ces murs autour desquels Achille avait poursuivi Hector, on devait les chercher bien plus près du rivage, sur l’emplacement de la ville qui portait le nom d’ilion sous les successeurs d’Alexandre et sous les empereurs romains. Pour ce qui était de Mycènes, il n’était pas arrivé, du premier coup, à une conclusion moins importante. N’apercevant pas de tombes apparentes dans la citadelle, les explorateurs qui avaient étudié le site de Mycènes inclinaient à croire que la citadelle ne renfermait rien de pareil ; si, pensaient-ils, Mycènes possédait autrefois, comme l’affirme Pausanias, les tombes d’Atrée, d’Agamemnon et des autres victimes d’Égisthe, c’est dans les chambres voûtées de la ville basse qu’il faut reconnaître ces tombes. Schliemann fut le premier à déclarer que le texte de Pausanias ne permettait pas cette interprétation ; pour lui, les tombes mentionnées par Pausanias n’ont pu exister ailleurs que dans l’enceinte même de l’Acropole. Un autre se serait peut-être dit que les exégétes de l’antiquité valaient les ciceroni de nos jours ; il se serait remémoré bien des exemples, anciens et modernes, de tombes qui n’ont aucun droit au respect dont les entoure la crédulité des voyageurs, exploitée par les hâbleurs qui en vivent. Schliemann n’hésita pas ; du moment où