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Albertine, par exemple, ne se déclare pas tout de suite, et nous ne savons pas au juste à qui elle en veut, sans compter que la « dame en noir, » dont on nous parle vaguement, nous aide mal à nous orienter. Le Dumas de ces vingt dernières années, celui des pièces en trois actes, a plus de décision, plus de concision aussi, car en cinq actes le sujet du Père prodigue est un peu trop au large. L’habit est brodé sur toutes les coutures, éblouissant de paillettes d’or, mais il flotte au lieu de coller. Quelques coups de ciseau n’y ont rien fait, et des plis se voient encore.

Cela n’empêche que le métier, comme dit l’auteur dans sa préface, n’ait ici la part qui doit lui revenir, et cette part est belle. Logique, et logique implacable entre le point de départ et le point d’arrivée, mise en saillie des côtés dominans, science des contreparties, c’est-à-dire des noirs, des ombres, des oppositions en un mot, qui constituent l’équilibre, l’ensemble et l’harmonie (vous reconnaissez, je pense, le langage même du maître), tout ce programme de facture, d’exécution ou de virtuosité, tracé par la préface, est rempli par la comédie. On le montrerait aisément. On ferait voir de même, et je crois qu’on l’a déjà fait, que si la préface en question se moque de Scribe, la pièce pourtant, je n’ose dire s’inspire, mais peut-être se souvient de lui. Vérifiez le grand ressort de l’œuvre : le duel ; il atteste avant tout une main ingénieuse, qui l’a finement travaillé, puis monté pour qu’il joue au bon moment. Et je vois bien que l’incident fait saillir en plein le caractère du comte, ou mieux le trait dominant qu’il en fallait dégager, mais l’incident ne résulte, ne sort pas de ce caractère même, ni du caractère d’André ou de personne. C’est un moyen, mais un moyen extérieur, le plus joli tour d’une adresse consommée, mais un tour d’adresse surtout.

Et non-seulement dans le métier, mais dans les personnages encore, on surprendrait peut-être quelques traces de Scribe. Le comte de La Rivonnière, ce viveur élégant, éternellement jeune, sensible, facile à l’amour, à l’attendrissement et aux larmes, ce père qui mettrait son fils sur la paille, quitte à se faire tuer pour lui, ce père charmant de gaîté, de grâce aimable et de folie, est un véritable père du Gymnase. Oui, décidément cette pièce est bien de M. Dumas fils, de M. Dumas jeune, et par la jeunesse, par une psychologie souriante et légère, elle a de quoi nous séduire encore. Je conviens que la paternité, chez le comte de La Rivonnière, a manqué de sérieux, de dignité même et de moralité ; on sait assez que l’idéal selon M. Dumas, l’idéal du père ou de l’épouse, l’idéal domestique enfin et familial, n’est pas toujours de premier choix. Le comte de La Rivonnière n’en demeure pas moins, dans toute la force du terme, ou plutôt dans ce qui reste de force à ce terme aujourd’hui démodé, un personnage sympathique.