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suffisamment entendre que le Danemark, regrettant toujours le Slesvig perdu, ne demandait pas mieux que de marcher d’accord avec la Russie et la France, si l’accord n’était déjà fait. De sorte qu’en face de l’ancienne triple alliance, il y aurait une autre triple alliance ennemie. Voici qui est nouveau et qui peut nous intéresser ! Et pour tenir tête à cette nouvelle triple alliance, sur quoi peut compter l’Allemagne ? Elle a ses propres forces sans doute ; elle a son armée qui est toujours prête à combattre, mais qui peut devenir insuffisante. Elle compte assurément aussi sur ses alliés. Le chancelier d’Allemagne ne dissimule pas cependant que, s’il a une confiance complète dans la loyauté de ses alliés, il a quelque inquiétude sur leur organisation militaire et sur l’efficacité de leur secours. M. de Caprivi, avec ses explications, a peut-être réussi à mécontenter tout le monde. Il est douteux que son langage ait pu plaire à l’Italie ; il est certain, d’un autre côté, que ce qu’il a dit du Danemark a déplu à Copenhague, et le plus clair est que le roi Christian, qui devait d’abord aller à Berlin assister au mariage de la princesse Marguerite de Prusse et du prince Frédéric de Hesse, a fini par s’abstenir. Le roi Christian a pensé peut-être qu’on le mettait un peu légèrement en scène, et il a trouvé dans les rigueurs de l’hiver un prétexte suffisant pour ne pas faire le voyage de Berlin au lendemain du discours de M. de Caprivi.

Au fond, ce que le chancelier a voulu tout simplement, c’est renouveler l’éternelle tactique, remuer la fibre allemande avec ses fantasmagories diplomatiques et militaires, pour vaincre les résistances que rencontre dans le parlement comme dans le pays la nouvelle réforme de l’armée. Réussira-t-il à enlever le vote de sa loi ? Il ne se ménage certes pas, il lutte laborieusement contre toutes les oppositions. Il finira sans doute par lasser ses adversaires et rallier une majorité ; il ne semble pas cependant pouvoir y arriver sans faire des concessions, soit sur l’augmentation de l’effectif permanent, soit sur la réduction du service. Il a, dans tous les cas, joué gros jeu avec ses indiscrétions, et il pourrait avoir acheté assez cher un succès qui ne servira son crédit ni en Allemagne ni auprès des alliés de l’Allemagne.

Un autre problème et même un problème singulier s’agite aujourd’hui en Angleterre. Comment le ministère libéral, qui est sorti des dernières élections anglaises et qui n’a encore rien fait, va-t-il engager sa campagne parlementaire ? Jusqu’ici le ministère Gladstone, qui a déjà six mois d’existence, semble s’être donné pour mot d’ordre de se recueillir et de se taire. Il s’est retranché dans une réserve visiblement calculée pour ne rien compromettre par des manifestations partielles ou prématurées. Aux questions quelquefois un peu ironiques qui lui ont été adressées, il a évité de répondre ou il n’a répondu que vaguement. On savait bien que l’illustre vieillard qui a conduit la dernière