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C’est à peu près ce que me dit d’une voix moins rude mon paternel ami, M. Linois. Il me semonça, me représenta éloquemment que ce n’est rien dans ce monde que d’avoir du mérite, qu’on ne devient maître de conférences à l’École des hautes études qu’à la condition de se faire valoir, de se remuer, de s’intriguer, que, si petites qu’elles soient, les alouettes ne tombent jamais du ciel toutes rôties. Il me fit une ample énumération de tous les membres du conseil supérieur de l’école que je devais aller voir au plus vite. Il me renseigna sur leurs travaux, sur leurs habitudes, sur leur caractère, sur leurs faiblesses, sur la méthode à suivre pour capter leurs bonnes grâces. Les uns étaient des hommes supérieurs, qu’il fallait aborder de front, les petits manèges leur répugnaient. Tel autre était un vaniteux, et quoiqu’il ne m’eût jamais rien appris, je ne pouvais me dispenser de l’appeler mon cher et illustre maître. Tel autre encore, qui avait épousé une héritière, se gouvernait par les conseils de sa femme, et M. Linois m’indiqua le jour où cette grande électrice restait chez elle. Je le quittai muni d’instructions très précises, très détaillées, et je m’y conformai de point en point. Durant une semaine, je fis en conscience, sans relâche, sans distractions, le métier de solliciteur, pour lequel je me sentais aussi peu de goût que de talent. J’employai des journées entières à gravir des étages, à étudier des figures en composant la mienne, à déchiffrer des sourires quelquefois fallacieux, à discerner les vraies promesses de celles qui ne sont que du vent et de la fumée, et à réciter partout, non sans succès, mon petit boniment, qui me paraissait fort insipide.

Ce qu’on donne au mouvement, disent les médecins, on l’ôte à la souffrance ; il est aussi vrai de dire que ce qu’on donne à l’ennui, on l’ôte à l’inquiétude. Cependant, quand dix jours se furent écoulés, je redevins rêveur et inquiet. J’étais sans nouvelles de Monique. Était-il encore survenu quelque incident ? Avait- elle, au dernier moment, renoncé à son voyage, ou si elle était à Paris, m’en voulait-elle des vérités un peu crues que je lui avais dites et qu’elle n’avait pu digérer ? Nous nous étions quittés fort brusquement ; ne l’ayant pas revue depuis qu’elle m’avait jeté à la figure une fleur de narcisse, je ne savais trop en quels termes nous étions ensemble. Je n’avais pas eu le temps de retourner à Beauregard, et j’avais chargé son mari de lui faire mes adieux. Pour surcroît de malheur, j’ignorais le nom de la rue où M me Cleydol avait retenu un appartement ; M. Monfrin m’avait dit, je croyais m’en souvenir, que cette rue était située entre le jardin des Tuileries et le boulevard ; c’était une indication bien vague. Je ne pouvais aller de maison en maison, interrogeant les concierges, leur disant : « Est-ce ici que loge une jeune femme aussi vindi-