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LE SECRET DU PRÉCEPTEUR. 731

m’annonçait que le soir, accompagnée de M me Gleydol et de ses filles, elle irait entendre Faust à l’Opéra ; elle m’indiquait le numéro de la baignoire et me sommait d’aller l’y rejoindre. Je lui répondis par dépêche qu’elle pouvait compter sur moi. L’ après midi, j’eus une visite à faire dans un quartier lointain. On prétend que Paris est si grand qu’on peut se promener longtemps dans ses rues sans apercevoir une figure de connaissance. Il est plus vrai de dire qu’on y rencontre rarement les gens à qui l’on pense, mais qu’on s’y heurte souvent le nez contre des visages à qui l’on ne pensait point et qu’on n’avait garde d’y chercher. J’en fis l’expérience ce jour-là.

J’avais pris l’omnibus de Gourcelles, que je quittai en face de l’église Saint-Augustin ; je remontai à pied le boulevard Malesherbes et je venais de m’engager dans la rue de Lisbonne, quand je passai devant un fiacre, qui stationnait à quelques pas d’une porte cochère. Il y avait dans ce fiacre une femme qui semblait surveiller attentivement cette porte. Je ressentis une vive émotion, un saisissement. Cette femme ressemblait de tout point... Eh ! oui, c’était le même port de tète, la même taille, la même tournure, je ne sais quelle habitude de corps dont j’avais souvent admiré l’élégance. Comme je me retournais pour la regarder, elle souleva sa voilette, et cette lois je la reconnus tout à fait. Mais son visage, plus pâle encore que de coutume, me parut un peu défait et comme miné par les fatigues et la souffrance ; évidemment elle relevait d’une grave maladie.

— Non, je ne me trompe pas, me dis-je, c’est bien elle.

Je l’observai de nouveau, sans qu’elle parût m’apercevoir. Que faisait-elle là, près de cette porte dont elle ne détournait pas sa vue ? Attendait-elle quelqu’un qui tardait à la rejoindre ? Elle semblait plus soucieuse qu’impatiente ; selon toute apparence, comme l’indiquaient ses traits contractés et la fixité de son regard, elle était aux aguets, à l’affût, elle cherchait le mot d’une énigme ou craignait de perdre une trace. Il me restait encore quelques doutes ; je voulus en avoir le cœur net. Avant de traverser la rue pour gagner la maison où je me rendais, je rebroussai chemin et passai une seconde fois devant le fiacre. Eh ! vraiment oui, c’était elle, et j’attirai enfin son attention ; mais elle ne me reconnut pas ou plutôt elle feignit de ne pas me reconnaître, car ma figure est de celles qu’on n’oublie point, qu’on ne peut confondre avec aucune autre. Elle avait baissé les yeux, et par discrétion, je m’abstins de la saluer. Une demi-heure plus tard, quand je me fus acquitté de ma visite, le fiacre avait disparu, et je partis, formant mille conjectures et me promettant au reste de ne point dire à Monique que j’avais rencontré sa mère. À quoi bon ? Elle ne