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LE SECRET DU PRÉCEPTEUR. 745

À ces mots, je m’en allai, sans lui avoir dit ce que, le cas échéant, je comptais faire.

XXIII.

J’avais déjà passé plus d’une mauvaise nuit. Celle qui suivit mon entretien avec Monique, notre bataille et la négociation de notre traité fut pire que toutes les autres. Je ne m’endormis que sur le matin. En me réveillant deux heures plus tard, je me sentis au cœur une angoisse vague, dont je ne pouvais démêler la cause. Il m’était arrivé quelque chose d’obscur et de grave ; quoi donc ? Peu à peu mes idées s’éclaircirent, et je fus pris d’une agitation fébrile. Le jour qui commençait était celui qu’elle avait fixé pour faire son choix définitif ; avant que le soleil se couchât, elle aurait décidé de son sort et du mien, et je serais le plus heureux ou le plus malheureux des hommes.

J’ouvris ma fenêtre. Le ciel était d’un bleu doux, le jardin du Luxembourg avait un air de fête, un merle chantait à pleine gorge. Que lui importaient mes angoisses ? Il voyait la vie en beau, tout lui prospérait, il était bien dans ses affaires ; tant pis pour moi si les miennes allaient mal !

— Soyons brave, me dis-je, soyons fier, et, s’il est possible, ayons l’air indifférent. Si elle pouvait me croire vacillant et tourmenté, si elle pouvait s’imaginer que ma résolution et mon courage commencent à mollir, nous serions perdus, elle et moi.

En arrivant à la pension, je trouvai Monique sous les armes, son chapeau sur la tête, son ombrelle à la main. En vain mes yeux la questionnèrent, sa figure était impénétrable ; impossible de savoir quel conseil la nuit lui avait donné, où elle en était avec elle-même, à quel parti elle s’était arrêtée ou si, encore indécise, elle attendrait jusqu’au soir et s’en remettrait au hasard du soin de fixer ses volontés changeantes. Son ton bref, un peu saccadé, annonçait une tension d’esprit qui ne lui était pas ordinaire ; mais, en chemin, la détente se fit. Elle n’avait pas de peine à se distraire ; ayant l’esprit mobile et des yeux qui voyaient tout, les distractions venaient la chercher.

À cette heure matinale, il y avait encore peu de monde au Champ de Mars ; c’était le moment favorable aux achats, et Monique se proposait d’en faire. Elle avait avisé à la devanture d’un exposant lyonnais une étoffe qui lui avait plu et qu’elle s’était promis d’examiner de plus près.

— Si vous le voulez bien, me dit-elle, c’est par là que nous commencerons. Je connais mon chemin, mais je voudrais prendre le plus court.