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LE SECRET DU PRÉCEPTEUR. 765

— Rassurez-vous, interrompit-elle ; vous êtes à couvert, je prends tout sur moi.

Le sur lendemain, je dînai avec Monique à la table d’hôte de sa pension ; puis nous montâmes chez elle, et j’attendais. Il soufflait depuis le matin un de ces vents blancs qui dessèchent et qui brûlent, un vrai siroco ; dans la soirée, le ciel s’était couvert, et bientôt un violent orage éclata sur Paris. La pluie tombait par torrens, les tonnerres et les éclairs se suivaient presque sans ïtierruption. L’orage aidant, je n’étais plus dans mon assiette. Oppressé, inquiet, surexcité, j’avais des palpitations, la peau moite, la tête en feu, les nerfs malades et une envie de pleurer, à laquelle je résistais à peine. Frappée de mon trouble, dont elle ne soupçonnait pas la cause, Monique se moquait de moi.

— Calmez-vous, me disait- elle ; vous verrez que j’ai été bon prophète, que tout se passera en douceur.

Elle ne se doutait point du souhait que j’avais formé. J’aurais donné tout mon sang pour que la scène que nous allions jouer ne fût pas une comédie, pour que l’homme qui allait entrer eût sujet d’être jaloux de moi et me sautât à la gorge, en me criant : « C’est toi qu’elle aime. »

M. Monfrin était fort exact à ses rendez-vous. À dix heures sonnantes, quelqu’un s’introduisit dans le vestibule, où il fut retenu par une soubrette à qui on n’avait pas eu besoin de faire deux fois sa leçon. Les yeux de Monique avaient en ce moment un éclat extraordinaire, mais pas un muscle de son visage ne tressaillit. Elle se coula vers la porte, tira le verrou. Puis, s’étant rassise :

— Il faut qu’il sache que nous sommes deux. Dites-moi des douceurs, en déguisant votre voix.

L’épreuve était au-dessus de mes forces ; le secret que je gardais depuis près de trois ans m’échappa tout à coup, mon cœur se serait brisé s’il avait porté deux minutes de plus son fardeau.

— Dites-moi des douceurs, répétait Monique.

Je me laissai glissera ses pieds, et je lui récitai le vers du vieux poète :

Je meurs de soif auprès de la fontaine.

Je m’emparai de ses mains, je relevai la manche de sa robe ; je couvris son bras droit de baisers et il me sembla que mes lèvres ne pourraient jamais se détacher de cette peau fine et tendre. Elle se dégagea, j’appuyai ma tête sur ses genoux et j’y collai ma bouche.

— Je vous aime à la folie, balbutiais-je. Comment ne l’aviez- vous pas deviné ?