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de 40 sols, » qui valent intrinsèquement 5 francs et, au pouvoir actuel de la monnaie, 12 fr. 50 pour toute la paroisse. Ne voilà-t-il pas une belle affaire ! La seigneurie du Béchet, qui rapportait en 1470 cinq sous, c’est-à-dire 1 fr. 60, est adjugée judiciairement en 1643 pour trois livres ou 5 fr. 50, c’est-à-dire qu’elle ne rapportait plus que 0 fr. 30 ! La communauté de Noyelles-sur-Mer, qui payait une rente annuelle de 4 livres (ou 40 francs) au XIVe siècle, pour le four banal, ne devait plus, au XVIIe siècle, qu’une poule, c’est-à-dire une valeur de 1 franc.

Cependant, les droits en général sont demeurés les mêmes, mais la valeur monétaire a varié : la taxe du four banal de Romorantin est encore en 1787 de 6 deniers, pour la cuisson de chaque pain de 43 livres ; mais 6 deniers de Louis XVI ne valent pas plus de 0 fr. 02, tandis que jadis ils avaient peut-être valu 0 fr. 50. Les « champarts » en nature résistent mieux à la durée, soit que les redevances seigneuriales fussent fixes, soit qu’elles fussent proportionnelles à la récolte. Mais là encore, à en juger par les chiffres, — dans les petites seigneuries on voit couramment des « champarts » d’une trentaine de livres, ceux du marquisat de Maillebois, terre considérable, en Beauce, ne sont affermés que 500 francs, — il est évident qu’il y a beaucoup de fraudes, que le château ou l’abbaye sont dupés. Ils se tiennent tranquilles, le plus souvent, parce que bien des titres sont perdus, mal en ordre, qu’il vaut mieux ne pas remettre en question certains droits qui ne tiennent qu’à un fil.

Les titres produits donnent lieu à des interprétations contradictoires. Quoique les deux derniers siècles ne soient pas, comme le nôtre, séparés des temps purement féodaux par le fossé de la révolution, ils commencent pourtant à perdre le sens de ces propriétés compliquées du moyen âge, qui deviennent par suite difficiles à défendre dans leurs origines. Que répondre à un abbé de Bonlieu, qui réclame, sous Louis XIV, des prés de la commune de ce nom, défrichés et possédés depuis plusieurs siècles par une masse de particuliers, sous prétexte qu’une comtesse de 1171, sous le règne de Frédéric Barberousse, avait concédé à son abbaye tout ce territoire ?

Ces revenus chevaleresques, possédés par des bourgeois, perçus par des fermiers, ne conservent plus qu’un simulacre nobiliaire, un souvenir, une routine. C’est une forme de propriété, ni plus ni moins légitime qu’une autre, mais singulière. Les deux deniers par tête que les habitans de cette seigneurie doivent payer chaque année, le lendemain de Noël, « pour droit de guet, » alors que depuis trois siècles il n’y a plus rien à guetter, ni par les vassaux ni par le gentilhomme, ressemblent au factionnaire, souvent cité,