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bien les pourra vendre (le preneur), à gens de sa qualité… » Et le bail à cens paraît comporter encore cette faculté exorbitante du preneur, de rendre l’immeuble s’il lui plaît d’être déchargé de la redevance, tandis que le bailleur ne peut, en aucun cas, augmenter cette rente.

S’il n’y a pas eu, à une date fixe, substitution générale de la location actuelle au cens, on peut dire néanmoins que presque tous les baux du XIIIe au XVe siècle sont des baux à cens, c’est-à-dire des ventes, aussi bien pour les maisons que pour les terres ; qu’au XVIe siècle les deux systèmes fonctionnent concurremment, mais avec prédominance de plus en plus marquée du fermage sur le cens, à mesure que la population augmente, et que la terre prend de la valeur ; enfin qu’à partir du XVIIe siècle la location est de règle. Les cens nouveaux ne constituent plus qu’une exception pour des marais à dessécher, des terrains improductifs, des constructions en ruines ; le propriétaire ne se résignant à cet abandon de son bien que lorsqu’il croit impossible d’agir autrement.

À Paris, le nombre des ventes de maisons augmente beaucoup depuis 1500, et surtout depuis 1600, où les baux à cens disparaissent presque complètement. Jusqu’alors un ouvrier, un petit commerçant, dénué de capital, pouvait devenir propriétaire d’un immeuble en consentant seulement à en payer le loyer. On peut dire que tous les héritiers des locataires parisiens du moyen âge se seraient enrichis, sans bourse délier, s’ils avaient conservé le sol de la maisonnette qui leur était à jamais concédé, pour quelques sous par an, et qui, de siècle en siècle, augmentait dans des proportions phénoménales. La même observation s’applique du reste aux propriétés rurales ; on croit voir un gland à côté d’un chêne quand on lit, sous Louis XVI, ces ventes d’un arpent de terre ou d’une sétérée de vigne moyennant 3 ou 400 livres de prix principal, en plus du cens originel d’un sou, d’un denier, d’une obole !

Entre la dépossession formelle du propriétaire au profit du colon, caractère distinctif du bail-vente à cens, et le prêt de la terre à court terme que nous nommons fermage, prennent rang diverses tenures intermédiaires, inégalement réparties sur le territoire de l’ancienne France ; la plupart sont d’une date plus récente que le contrat du cens ; toutes sont aussi, beaucoup plus que ce dernier, favorables au bailleur : en Bretagne, le « domaine congéable » et ses dérivés, en Alsace les « Waldrecht, » en Picardie le « droit de marché, » et un peu partout l’emphytéose, sous des formes multiples. Les unes et les autres ont été fort atteintes par la révolution. Elles ont été résiliées, soit au profit du fermier qui est devenu maître exclusif, soit au profit du propriétaire qui est rentré, avec bénéfice, dans un bien sur lequel il n’avait qu’une autorité