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illusoire ; selon que l’on a envisagé ou non, comme un droit féodal, les redevances emphytéotiques. Le petit nombre de ces tenures qui ont traversé intactes la première partie de notre siècle ont peu à peu disparu dans la seconde, et ne seront bientôt plus, sans doute, qu’un souvenir.

Le « domaine congéable, » qui régnait dans les districts où se parle la langue bretonne, était affermé à une famille de cultivateurs pour un temps indéfini ; mais le bailleur conservait le droit de rentrer dans son bien, en remboursant à l’exploitant les dépenses de tout genre qu’il avait faites. Ce dernier cependant s’attachait au fonds, par la possession et le travail, de manière à n’en être jamais séparé. Les redevances devenaient peu à peu la seule propriété du foncier, à qui son bien échappait chaque jour davantage, pour passer aux mains du superficiaire. On vit des communes se mettre en état de révolte ouverte, quand les propriétaires, sous l’ancien régime, tentaient de reprendre leur bien par voie de congément.

Propriétaires du reste, jusqu’à quel point le demeuraient-ils, en face d’un fermier, auteur de tout ce qu’il créait à la surface : clôtures, édifices, futaies ? Tel était l’usement de Rohan ; le juveigneur, ou plus jeune des fils, héritait seul de la tenure de son père, — un droit d’aînesse à rebours ; — à défaut de fils, la plus jeune des filles ; à défaut de fils et de fille, le frère ou la sœur, s’il demeure sur la ferme depuis un an et un jour. Enfin à défaut de frère et de sœur, le domaine revenait au seigneur qui le revendait alors aux enchères, et profitait de la plus-value ; mais les exemples en sont rares.

Une autre forme de semi-propriété paysanne est le « droit de marché » ou de mauvais gré. Entre Péronne, Cambrai, Saint-Quentin et Laon, les cultivateurs jouissaient depuis des siècles de ce privilège dont l’origine est à peine connue. Dès qu’ils acquittent la redevance, point de terme à la location. Ils sont libres de transmettre la terre à qui bon leur semble, de la vendre, de la donner en dot. Si le propriétaire parle d’augmenter le loyer, le fermier refuse. Reçoit-il un congé, pas de résistance ; il se retire, mais personne ne se présentera pour lui succéder, et la terre demeure en friche. Le propriétaire se détermine-t-il à faire valoir lui-même, ou parvient-il à trouver au loin un nouvel occupeur, l’un ou l’autre doit se préparer à une vie de réprouvé. Le charron, le maréchal, refusent de travailler pour lui. C’est un dépointeur, ennemi public auquel on n’épargnera pas les vengeances. On lui scie ses arbres, on lui mutile ses instrumens, on incendie ses granges et l’on tue ses bestiaux. Et, devant le grand silence des bouches