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mais, exposé à tous les accidens, à tous les mécomptes, il est le moins exact des payeurs, surtout lorsqu’un temps d’arrêt dans la hausse des denrées agricoles vient contrecarrer les espérances qu’il avait formées. Dès le XVIIe siècle, le fait est aisé à constater : à lire dans le Bourgeois poli, en 1631, le dialogue du rentier qui réclame ses fermages en retard, avec le tenancier qui ne les lui donne pas, on croirait le morceau écrit d’hier. Ce sont, dans la bouche du fermier, tous propos actuels : « les terres sont trop chères,.. j’aime mieux les quitter,.. il n’y a pas moyen de s’y sauver,.. » etc.

Pour éviter l’ennui de ces doléances, le gros propriétaire cherche à s’éclipser ; il paie ses fournisseurs en leur transportant sa créance sur un fermier, c’est à eux à se faire payer ; ou encore il traite avec quelque marchand du voisinage pour la gestion de ses biens. Les revenus des monastères, surtout quand l’abbé ne réside pas, sont souvent confiés ainsi à un entrepreneur intéressé, dès le règne de Louis XIV.

Les grands seigneurs agissent de même : « J’estime, écrit Sourdis à Richelieu, que votre duché consistant en vingt petites fermes, il en faut faire une ferme générale, et la bailler à un fermier qui la paiera en deux termes. » Lorsque, avec le XVIIIe siècle, l’absentéisme se développa, que tant de gentilshommes ne mirent plus les pieds dans leurs domaines ruraux, le système des « fermes générales » se propagea. Il remplaça le métayage en beaucoup de provinces. La plupart des grandes terres, à la fin de l’ancien régime, surtout depuis 1740, étaient louées en bloc, comme aujourd’hui en Irlande, à des fermiers-généraux, gens d’affaires de la ville, qui firent de cette opération un commerce fort lucratif.

La terre devenait ainsi une valeur de spéculation. Elle devait nourrir deux maîtres au lieu d’un, en plus de ses exploitans immédiats. Soumis au pompage épuisant d’intermédiaires, qui cherchaient à louer le plus cher possible en détail ce qu’ils avaient affermé en gros, le fermier se serait trouvé bien vite dans une situation plus que difficile, si la hausse non interrompue du prix des céréales, des bestiaux et des autres produits de la terre, pendant la période comprise entre 1750 et 1790, ne lui avait apporté, dans l’intervalle d’un bail à l’autre, quelque compensation.

Les conditions des baux, aux deux derniers siècles, sont assez semblables aux nôtres : contributions royales et redevances seigneuriales, entretien des bâtimens et même réparations sont à la charge du fermier. Souvent il est tenu d’entretenir les toitures, « de la main de l’ouvrier seulement, » — le propriétaire devant fournir les matériaux, — à moins qu’il ne s’agisse de couvertures en chaume, dont la paille est récoltée sur la terre. Dans la plupart des baux que j’ai consultés, ces clauses ne subissent, jusqu’à la