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Révolution, aucun changement. Seulement, au siècle dernier, la liberté de modifier les assole mens, auxquels il était jadis défendu de toucher, augmente avec les progrès de l’agriculture. Il est d’anciens usages abandonnés : le don du « pot-de-vin, » du « gâteau de louage, » sommes que dans plusieurs provinces on devait payer, à titre d’arrhes, en concluant un bail, sous peine de le voir annuler.

Cependant la condition du fermier empire dans les temps modernes. La législation est pour lui beaucoup plus dure sous Louis XIV que sous Charles le Sage. Les formes dans lesquelles le seigneur féodal pouvait retirer sa terre au colon, pour non–paiement de fermage, étaient jadis minutieusement réglées. Il y fallait des avertissemens successifs, multiples, des délais prolongés ; de plus, le tenancier du moyen âge pouvait toujours s’en aller, quand il lui plaisait de rendre la terre. Au contraire, un cultivateur est emprisonné, au temps d’Henri IV, « pour avoir délaissé la métairie dont il était fermier. »

À en croire Arthur Young, le mode d’exploitation usité, en 1789, dans les sept huitièmes de la France aurait été le métayage. Le grand nombre de baux à ferme que l’on rencontre, en tant de provinces, vient démentir cette assertion, tout au moins fort exagérée. Métayage ou fermage, le fait indéniable, c’est que la part de l’exploitant dans le produit de la terre a sensiblement diminué depuis le moyen âge jusqu’en 1789 et depuis 1789 jusqu’à nos jours, tandis que la part du propriétaire a augmenté. La terre se présente à nous aux siècles passés, du moins depuis l’an 1500, sous l’aspect d’une industrie dans laquelle des générations de spéculateurs ont édifié leur fortune. Ces spéculateurs, hâtons-nous de le dire, ont été aussi des travailleurs ; le bien ne leur est pas venu tout à fait en dormant, et il ne leur est pas venu sans cesse. Il y a eu de pénibles vicissitudes à traverser, et même de lourdes pertes à supporter ; mais à distance, et pour nous qui comparons surtout le point de départ avec le point d’arrivée, l’industrie agricole accuse, en fin de compte, un gain considérable.

Cette industrie comporte deux associés, souvent réunis dans une seule et même personne, mais qu’il faut ici distinguer : le propriétaire et l’exploitant. Le premier fournit la matière première, le second la met en œuvre. Au début, quand cette matière première était si abondante qu’elle semblait inépuisable, et quand les metteurs en œuvre étaient rares, il fallut leur abandonner une grande part du bénéfice ; d’autant plus que la matière première était informe, et qu’il y avait énormément à faire pour la transformer, pour tirer des denrées commerçâmes d’une steppe inculte.