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égratigner l’argile humide, et, d’autre part, les quelques pièces où il semble permis de reconnaître tels ou tels des signes de ce syllabaire paraissent provenir plutôt des couches supérieures de décombres, qui représentent une bourgade très postérieure à cette ville brûlée qui serait la Troie d’Homère. Si l’on avait su écrire à Troie, le secret du procédé se serait répandu, de proche en proche, dans tout le bassin oriental de la Méditerranée, et l’on aurait tiré un bien autre parti de cette invention en Argolide, en Laconie et en Béotie que sur les plages de l’Hellespont ; or, nulle part, ni dans le Péloponnèse, ni dans la Grèce centrale, pas plus sur les édifices que sur ces mille objets d’usage domestique et de luxe qui sont sortis des tombes, on n’a rien découvert qui ressemble à une écriture quelconque.

Cette civilisation est donc une civilisation muette ; la voix des hommes qui l’ont créée n’arrivera jamais directement jusqu’à notre oreille. Les collections formées par Schliemann et par ses émules ne répondent pas à la première question qui se pose à propos de tous ces monumens : quelle langue parlaient les tribus qui ont bâti les murs de Tirynthe et de Mycènes ? Est-ce, comme on l’a supposé, des Phéniciens qui ont entassé ces blocs énormes, des Phrygiens qui ont caché sous une épaisse couche de terre la rondeur de ces hautes coupoles ? Faut-il voir dans cette architecture et dans cette industrie la main de ces Cariens dont Thucydide croyait reconnaître, dans l’île de Délos, aux armes qui y étaient déposées, les antiques sépultures ? Ou bien, sans nier le rôle qu’ont pu jouer, dans le mouvement et le progrès de cette civilisation, des groupes de colons venus de l’Asie-Mineure, de la Syrie et même de l’Egypte, ne convient-il pas de chercher, dans les constructeurs de ces édifices et dans les auteurs de tous les ouvrages que nous ont rendus les tombes, des Pélasges, des Éoliens, des Ioniens et des Achéens, pour tout dire en un mot, les propres ancêtres des Grecs de l’épopée et de l’histoire ?

Pour résoudre ce problème, il ne faut pas non plus compter sur la plastique et sur son témoignage. Sans doute, sur les monumens de Mycènes et sur ceux qui, quoique trouvés ailleurs, relèvent du même art, il en est où se montre, à côté de la figure des animaux supérieurs, celle de l’homme, et il semble, au premier moment, que nous devrions trouver la réponse à nos doutes ; mais, lorsqu’on étudie les monumens à ce point de vue, on s’aperçoit bien vite qu’il faut renoncer à cette espérance. Sur les stèles qui surmontaient à Mycènes les tombes de l’Acropole, il n’y a, dans l’intérieur du contour, l’indication d’aucun détail. Quant aux masques, les ouvriers qui les ont exécutés ont certainement voulu faire des