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tout d’abord des pesons de fuseau ; mais ils se sont rencontrés en telles quantités, sur le site des villes préhistoriques, que cette destination ne peut pas avoir été la seule qui leur ait été assignée. Rien qu’à Hissarlik, en 1882, Schliemann en a ramassé plus de quatre mille. On a aussi parlé des filets de pêche ; ces disques auraient été employés, comme nos boules de plomb, pour les contraindre à s’enfoncer dans l’eau. Ils ont pu être utilisés de cette manière ; mais ceci ne suffirait pas non plus à en expliquer le nombre prodigieux, et d’ailleurs ils sont ornés, pour la plupart, de dessins exécutés comme ceux des vases et dans le même goût ; aurait-on pris cette peine s’ils n’avaient été affectés qu’à de tels usages ? Rien de plus naturel au contraire que cette préoccupation du décor si les fusaïoles étaient des objets de toilette. Ces lentilles d’argile rendaient le service que l’on demandera plus tard aux perles d’ambre et de verre ; on en faisait des pendans d’oreilles, des bracelets et des colliers ; elles étaient d’autant plus recherchées que la pointe y avait multiplié davantage des dessins dont quelques-uns, ceux qui représentent des astres ou d’autres images dont le sens est parfois difficile à saisir, donnaient peut-être à certaines de ces pièces la valeur d’amulettes ou de fétiches. Les voyageurs ont constaté, de notre temps, chez certaines tribus de l’Afrique, ce même emploi de la terre cuite en vue de la parure.

Tout cet outillage peut paraître bien primitif, et cependant on est déjà loin ici de la vie du sauvage. C’est une population sédentaire, par conséquent agricole, qui a laissé là sa trace. Elle possède un instrument dont l’usage est toujours resté inconnu, en Occident, aux peuplades qui ont habité nos grottes et nos villages lacustres, le tour du potier. Si la plupart des vases n’ont été que façonnés à la main, quelques-uns offrent cette régularité de la forme que peut seule donner la rotation du plateau sur lequel est posé le gâteau d’argile. Le commerce existe ; il procure à la tribu les matières que ne lui fournit point son propre territoire, le cuivre par exemple, qui ne se rencontre pas à l’état natif dans ce district de l’Anatolie, le cuivre qui vient peut-être de Cypre, dont les mines ont valu à ce métal le nom qu’il porte encore dans notre langue. Ce qui surprend davantage, c’est que plusieurs des couteaux sont en jade ; or les seuls gisemens connus de cette roche ne se trouvent, en Europe, que dans la Silésie, la Suisse et la Styrie, ou, en Asie, que dans le Turkestan et la Chine. Il y aurait donc eu dès lors, entre les tribus établies dans ce canton et leurs voisines, qui elles-mêmes étaient en relation avec d’autres plus lointaines, un trafic assez actif pour que certaines substances accomplissent, avant d’arriver à destination, de très, très longs voyages à travers la vaste étendue