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où il est bien plus développé ; c’est celui de la maison princière, du palais. Il n’y a d’ailleurs, dans l’enchevêtrement de ces murs qui se coupent en tous sens et qui se superposent les uns aux autres, rien qui ne s’accorde avec l’hypothèse que suggèrent les réfections qui ont agrandi à deux reprises le périmètre du rempart. Ces retouches, ces reconstructions successives de l’enceinte et des maisons, tout cela est l’œuvre d’une seule et même population qui a vécu sur cette colline pendant d’assez longs siècles pour que finissent par céder à l’usure les murs de ses premières demeures, pour que le jour vînt où les dimensions du château de ses rois ne seraient plus en rapport avec les besoins nouveaux que faisait naître chez elle le progrès de l’aisance. Cette conjecture est pleinement confirmée par l’étude des nombreux objets recueillis au cours des fouilles. L’industrie dont ils attestent l’activité n’est pas restée stationnaire ; elle a perfectionné ses méthodes ; mais il est pourtant certaines limites qu’elle n’a point franchies ; ses produits sont très homogènes ; elle a son unité.

Cette industrie est la prolongation de celle du premier village. C’est encore la pierre et la terre cuite qui y jouent le rôle principal. La poterie est toujours monochrome ; l’artisan ne cesse pas de répéter les types qu’il avait créés tout d’abord ; mais il les allège et il les diversifie. S’il ne sait pas donner à ses ouvrages l’agrément de la couleur, il a de plus en plus souci de les embellir et comme de les animer par l’introduction d’élémens empruntés à la forme vivante. Quand il s’essaie à copier le visage de l’homme, la traduction qu’il en propose est déjà beaucoup moins maladroite et surtout moins abréviative. Outre les yeux et le nez, il commence à marquer la bouche ; il s’enhardit à tenter une vague ébauche du corps et des membres, à modeler les seins, le nombril et jusqu’à l’amorce des bras. Ceux-ci même, dans un vase qui reste unique en son genre, se développent assez pour tenir les anses d’un second vase plus petit. L’exécution est d’une gaucherie très naïve ; mais l’idée est ingénieuse. Le potier a voulu figurer une femme qui porte une écuelle sur la tête et qui présente une coupe de ses deux mains levées. Ce n’est pas seulement de l’homme qu’il s’inspire ; parmi les animaux dont il a prétendu reproduire l’image, on a cru reconnaître la truie, la taupe et l’hippopotame. Enfin, à côté de ces répliques perfectionnées des types originaires, on voit paraître des formes nouvelles, dont quelques-unes ne se retrouvent guère ailleurs que dans les plus anciennes nécropoles de Cypre. Il y a aussi un cornet profond, à large embouchure, dans lequel Schliemann a reconnu cette coupe du festin ; ce δέπας ἀμφιϰύπελλον (depas amphikupellon) d’Homère que les commentateurs anciens ne savaient déjà plus