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montagne, il existe encore une vieille nécropole où, du temps de Pausanias, on montrait le tombeau de Tantale. On y voit les restes d’une quarantaine de tumulus, des cônes en maçonnerie à base cylindrique ; ils renferment une chambre qui offre l’apparence d’une voûte en forme de dôme. C’est, en plus petit, le type des tombes à coupole de Mycènes. Ce type du tumulus semble avoir dû naître plutôt dans un pays de plaine que là où, comme en Anatolie, la roche à fleur de terre se prête à recevoir le dépôt des corps pour lesquels la piété des survivans cherche un sûr abri. Si, comme toute l’antiquité l’affirme, les Phrygiens sont originaires de la Thrace, ils auraient apporté avec eux, en Asie-Mineure, ce mode de sépulture, et ils y seraient restés fidèles, quand une dynastie phrygienne alla s’établir dans la Grèce d’Europe ; là le type se serait développé, aux mains d’ouvriers plus habiles, et de Mycènes il se serait répandu dans toute l’Hellade. La conjecture est spécieuse ; elle explique l’apparition dans le Péloponnèse d’un mode de sépulture dont le principe n’a guère pu être suggéré aux habitans de ce pays par la nature du terrain.

Une autre hypothèse qui a fait quelque bruit, c’est ce que l’on appelle l’hypothèse carienne ; elle met au compte des Cariens la construction des acropoles de l’Argolide, ainsi que la création du style auquel nous avons donné le nom de mycénien. Les anciens, dit-on, connaissaient les Cariens comme un peuple de soldats et de marins qui, avec les Lélèges, que la tradition leur associe toujours, auraient occupé la plupart des îles et plus d’un point du littoral de la péninsule hellénique. Selon Hérodote, il n’y avait pas de peuple, au temps de Minos, qui les égalât en importance et en réputation. N’est-on pas autorisé, par là même, à les présenter comme les inventeurs de ce style dont les motifs les plus originaux sont empruntés au monde de la mer ? Sans doute, dans ce que nous savons de leurs habitudes, il n’y a rien qui répugne à cette supposition ; mais les Minyens et les Pélasges, les Ioniens et les Achéens n’ont-ils pas, comme les Cariens, vécu sur les rives des golfes et des détroits ? Ont-ils moins navigué ? Quand les Cariens, refoulés vers l’Orient par la pression de ces tribus, se furent concentrés dans le pays auquel ils donnèrent leur nom, ils n’y eurent ni une architecture ni une sculpture qui leur appartînt en propre. Ainsi ce peuple, lorsqu’il était comme de passage sur la côte d’Europe, y aurait créé un art incomplet sans doute et inégal, mais sincère et puissant ; lorsque ensuite il se serait fixé dans une riche contrée où tout favorisait l’essor de son génie, il aurait été atteint d’une irrémédiable stérilité ! Ne serait-ce pas là un bien étrange et bien inexplicable phénomène ?