Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/956

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même aussi bien qu’à Rome. Que le rapprochement né de la force des choses entre la Russie et la France soit gênant et importun, c’est bien apparent ; que les uns ou les autres, par de faux bruits ou par des politesses, en cherchant à réveiller des défiances ou des susceptibilités, en exploitant le moindre incident, s’efforcent de le détruire ou de l’affaiblir, c’est encore bien visible. Ni à Pétersbourg, ni à Paris, on n’est probablement dupe de cette comédie qui recommence de temps à autre. Y a-t-il entre la Russie et la France une convention militaire, comme il y en a une entre les pays de la triple alliance ? On n’en sait rien : c’est M. de Caprivi qui l’a dit, peut-être par calcul, à la veille du voyage du tsarewitch et des fêtes de Berlin, pour savoir la vérité. Qu’il y ait ou qu’il n’y ait pas une convention, peu importe. Ce qui est né de toute une situation de l’Europe a des chances de se maintenir tant que cette situation restera ce qu’elle est, — et tant que cette situation restera ce qu’elle est, France et Russie sont également intéressées à ne pas se laisser détourner d’une alliance qui est la garantie de leur propre sécurité comme de la paix du continent.

Voici donc le parlement britannique ouvert, le ministère libéral entrant dans son rôle et les partis anglais remis en présence dans une session où tout promet des luttes peut-être passionnées, dans tous les cas laborieuses. Depuis six mois, M. Gladstone a eu le temps de prendre position au pouvoir et de préparer sa campagne en homme prévoyant et pratique ; ce « premier » de quatre-vingt-quatre ans, qui a si souvent manié les intérêts de l’empire britannique, a trop l’expérience de la vie parlementaire pour ne pas savoir toutes les difficultés qui l’attendent. Il sait qu’il n’a pas seulement à imposer pour ainsi dire une des réformes les plus hardies, les plus épineuses, — la réforme irlandaise, — qu’il a de plus à suivre des affaires de diplomatie singulièrement délicates, notamment cette crise égyptienne qui est venue le surprendre récemment en ravivant les susceptibilités anglaises. Il sait aussi que, pour conduire cette œuvre contre une opposition puissante, compacte, il ne dispose que d’une majorité de quelque quarante voix et que dans cette majorité si faible il y a bien des élémens incohérens, qu’il a tout à la fois à rallier des Irlandais ardens, difficiles à satisfaire, et à désintéresser des radicaux impatiens de réformes ouvrières. Ce n’est qu’en s’ingéniant à contenter plus ou moins les uns et les autres que M. Gladstone peut garder sa majorité. Il s’y est visiblement préparé. Il a passé ces six mois à raffermir son armée, à apaiser les Irlandais par les mesures libérales dont M. John Morley, son lieutenant, a pris l’initiative, à contenir les radicaux sans les décourager. Il n’a rien négligé, c’est bien clair, pour arriver à l’action dans les meilleures conditions possibles. Aura-t-il réussi ? réussira-t-il jusqu’au bout ? c’est précisément ce qu’on va voir. Maintenant le drame est ouvert par le