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Vénus qui l’a initié aux voluptés maudites, l’autre vers Élisabeth qui lui a révélé les joies du chaste amour. Le personnage de Wolfram, type de l’abnégation suprême et de la plus haute idéalité dans l’amour, apporte dans l’ouvrage une note mélancolique et sereine qui contraste excellemment avec le caractère tourmenté du personnage principal. La partition de Tannhäuser est fort inégale ; à côté de grandes beautés, elle contient des traces d’imitations nombreuses de l’école allemande et de l’école italienne. Wagner déploie déjà sa toute-puissance de symphoniste dans l’ouverture, dans la scène du Vénusberg, dans le beau récit du Voyage à Rome ; mais dans l’ensemble de l’œuvre, il reste sous l’influence de son maître Weber. L’expression musicale est le plus souvent concentrée dans la ligne de chant ; Wagner n’a pas encore arboré la devise : « Tout à l’orchestre ! » qui fait le caractère original et personnel de sa seconde manière. Il ne pouvait pas non plus à cette époque posséder cette maîtrise dans l’art de la mise en scène qui l’a tant servi plus tard. On s’aperçoit de suite à l’audition que Tannhäuser n’a pas été écrit en vue de l’organisation spéciale du théâtre de Bayreuth. La disposition de l’orchestre enfouie sous la scène, si favorable aux puissantes sonorités de Parafal et de Tristan, est préjudiciable à l’instrumentation de Tannhäuser, qui s’en trouve souvent par trop atténuée et assourdie. En entendant cet ouvrage après les deux autres, on constate les progrès immenses réalisés par Wagner à mesure que l’expérience mûrissait son génie.

Tannhäuser est le seul ouvrage joué à Bayreuth qui contienne de la danse. Rien que pour ce motif, sa représentation devait avoir un vif attrait pour moi. J’avais eu l’occasion d’admirer à Paris les résultats surprenans obtenus par Mlle Fonta dans ses tentatives de restitution des danses anciennes. Maintes fois, en voyageant en Italie, en Grèce, en Suisse même, j’avais remarqué la puissance expressive des danses populaires. Convaincu de l’appoint précieux que l’art chorégraphique apporterait à l’opéra, le jour où il se proposerait pour but, non la difficulté vaincue, mais l’expression du beau, non la recherche de la virtuosité, mais la traduction des sentimens, j’espérais voir au théâtre modèle de Bayreuth mon rêve réalisé. Je l’avoue, cet espoir a été déçu. La bacchanale où les nymphes et les amans du Vénusberg s’efforcent d’exprimer avec le plus de réalisme possible les emportemens ou les langueurs de la passion m’a paru, comme intensité expressive, bien au-dessous des danses égyptiennes de notre dernière exposition. La scène où devant Tannhäuser et Vénus, demeurés seuls, trois danseuses viennent exécuter des poses plastiques, m’a laissé complètement