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poète grec n’avait qu’à regarder et à décrire à sa façon : on pourrait trouver qu’il n’a pas abusé de cette facilité. Comment ne nous a-t-il pas donné, par exemple, les réflexions inspirées à son personnage par la célèbre Vénus Anadyomène d’Apelle, qui était une des principales richesses du temple de Cos ? Hérondas ne voulait qu’effleurer le sujet et le restreindre à la mesure de la femme qu’il mettait en scène : elle n’a le temps de voir qu’une partie de toutes ces œuvres, et ce qui l’attire, ce ne sont pas les sujets élevés, mais les sujets familiers, qui rentrent dans ce que nous appelons aujourd’hui le genre. Peut-être, le bœuf qui lui cause une telle peur, dans un tableau d’Apelle, faisait-il partie d’une grande composition comme la pompe de Mégabyze, prêtre de Diane d’Éphèse, citée par Pline : elle n’a d’yeux que pour le bœuf et les gens qui le conduisent, un homme à nez aquilin et un autre à chevelure hérissée.

Il y a encore deux mimes dont l’état de conservation se prête à l’analyse et à l’étude. Ils ont ceci de particulier, que le personnage principal, et, dans l’un des deux, le seul qui parle, est un homme. Ce n’est pas assez pour établir dans les œuvres d’Hérondas une division analogue à celle qui avait fait répartir celles de Sophron entre deux groupes, les mimes d’hommes et les mimes de femmes. La pièce la moins bien conservée, la septième, fait reparaître Cerdon, cet artiste en cuir, dont le talent est si apprécié par les femmes peu recommandables du VIe mime. Mais ici, il n’est que cordonnier, cordonnier pour femmes, et on le voit dans l’exercice de sa profession. On retrouve aussi Métro, qui demandait si instamment l’adresse de Cerdon. Il paraît qu’elle a réussi à faire sa connaissance ; elle se fournit chez lui et lui amène des clientes.

Le cordonnier Cerdon est un assez singulier personnage, dont l’analogue se trouverait difficilement dans la société moderne. Son nom, comme il l’indique lui-même dans un a parte, dit son caractère. Cerdon vient d’un mot qui, dans la langue d’Homère, réunit les acceptions de gain et de ruse, et un mot très voisin, cerdo, sert à désigner le renard. Son patron est Hermès, le dieu du gain, de la ruse et de l’éloquence. Il a, en effet, son genre d’éloquence ; sa langue ne s’arrête pas un instant ; il prend tous les tons, il gémit, il enfle sa voix, il est caressant et flatteur, insolent et grossier avec ses visiteuses ; il se moque d’elles, qui le lui rendent, et de lui-même ; il s’amuse de sa propre faconde. Plus d’un trait nous échappe à cause de l’état du texte et de la difficulté que nous éprouvons à comprendre les dictons, les métaphores et les jeux de mots ; il en reste assez cependant pour nous faire voir le genre d’agrément de ce mime. Voici l’analyse ou la traduction d’une partie.