Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/111

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La politique est une chose, la littérature et l’art en sont une autre. La première est une bataille où il suffit d’être convaincu et courageux ; quelques idées très simples et très pratiques y suffisent. La littérature et l’art sont plus complexes ; on n’y porte jamais trop de mesure et de scrupules, car elles ont pour but la recherche désintéressée du beau et du vrai. Lorsque l’on veut être homme de parti et critique, comme Castagnary, il faut se dédoubler. Un homme politique, s’il fait la guerre au cléricalisme, n’achète pas de peinture religieuse ; un critique ne doit voir dans un tableau que sa valeur propre. En fait, nombre d’hommes politiques ont eu l’esprit assez libre pour opérer ce départ, également capables de goûter la traduction artistique des idées religieuses et de combattre l’intrusion de ces idées dans la politique. Castagnary, moins publiciste que critique, mais esprit tout d’une pièce, n’a pas su pratiquer cette dualité. Concluons de son exemple que l’homme politique qui met de la littérature ou de l’art dans sa politique et le critique qui met de la politique dans son art ou sa littérature compromettent également leur tâche. Que la notion de l’art se rattache à une conception générale de l’organisation sociale, comme chez Thoré et chez Proudhon, si ce peut être un danger, ce peut être aussi une cause d’élévation ; mais la politique de tous les jours, avec l’étroitesse de son champ et ses intérêts immédiats, réduit la critique à sa mesure et à sa durée.

Et pourtant, Castagnary croyait voir les choses de haut, être philosophe. Entre tous les mérites qu’il s’accorde, c’est à celui-là qu’il tient le plus : « Je suis, si l’on veut, dit-il, un observateur doué de quelque philosophie. » Il prend, en effet, ce mot de « philosophie » dans un sens particulier : ce n’est pour lui ni la métaphysique, qu’il méprise, ni l’esthétique, dont il écarte dédaigneusement l’idée, mais un bon sens assez court, la « philosophie » que développait le Siècle de Havin et de Jourdan. Considérant sa doctrine comme un ensemble de dogmes, il a l’orgueil tranquille du prophète ; la majorité des artistes a beau suivre son penchant, à elle, et le public ses préférences, il vaticine toujours. Lorsque l’ouverture du Salon annuel lui montre par trop d’infidèles, il commence par se lâcher, mais il se calme vite par cette réflexion : « Le temps, ce juge impartial, dira qui s’est trompé de mes contradicteurs ou de moi ; notre tâche est de corriger les erreurs de la foule. » Il reprend donc, chaque année, l’exposition de ses théories ; il cherche uniquement dans la revue des œuvres l’application de ses idées et, chaque année, il s’étonne naïvement que l’art ne se soit pas encore transformé d’après sa doctrine. Avec le désir visible de se poser en juge redouté, il distribue l’éloge