Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/139

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce qui est encore plus fâcheux, c’est que, trop occupé à expliquer Courbet et planté devant cette borne, Castagnary n’observait pas assez l’évolution de l’art français, qui dépassait rapidement le dieu Terme de la doctrine. M. Spuller nous dit que nombre de talens nouveaux ont été révélés par Castagnary. Ce n’est guère acceptable. Pas une fois, Castagnary n’a été le premier à signaler l’originalité d’un nouveau-venu. Pour Manet qui, dès le premier jour, soulevait certes beaucoup d’objections, mais qui, du moins, apportait une formule nouvelle, il était très long à reconnaître sa valeur. Voici sa première mention : « On a fait grand bruit autour de ce jeune homme. Soyons sérieux. Le Bain, le Majo, l’Espada, sont de bonnes ébauches, j’en conviens. Il y a une certaine vie dans le ton, une certaine franchise dans la touche qui n’ont rien de vulgaire. Mais après ? Est-ce là dessiner ? Est-ce là peindre ? » Il termine en relevant chez Manet « l’absence de conviction et de sincérité ; » or, l’artiste valait surtout par ces deux qualités. Il lui fallut encore quatre ans pour le prendre au sérieux, et, même alors, il ne cessait pas d’être très dur pour lui. Il écrivait en 1870 : « Je n’ai rien à dire de ce peintre qui, depuis dix ans, semble avoir pris à tâche de nous montrer à chaque Salon qu’il possède une partie des qualités nécessaires pour faire des tableaux. Ces qualités, je ne les nie pas ; mais j’attends les tableaux. » Enfin, en 1875, lorsque l’artiste est devenu chef d’école, qu’il passe pour très avancé et que c’est faire acte de libéralisme que d’en dire du bien, Castagnary, qui n’aime guère cependant les impressionnistes et leur a dit leur fait avec quelque rudesse, adopte dans Manet le peintre de la vie contemporaine, le démontre en plusieurs pages et le sermonne doucement sur les exagérations de la doctrine du plein air. M. Spuller nous dit expressément que Castagnary avait « deviné » Bastien-Lepage. C’est trop s’avancer. Lorsque parut, au Salon de 1874, ce Portrait de mon grand-père, qui est à la fois le début du jeune maître et, certainement, la peinture la plus forte et la plus large qu’il ait laissée, ce fut à qui, parmi les critiques, traduirait une impression aussi vivement ressentie par le public que par les artistes. Castagnary se contenta, en terminant une longue revue, de « consacrer un dernier mot d’éloge à un nouveau-venu » et de l’exprimer ainsi : « C’est une œuvre originale et qui promet un peintre. » Il y avait à dire plus et mieux. L’année suivante, lorsque le peintre est à la mode, et surtout, en 1876, lorsqu’il a exposé le portrait de M. Wallon, Castagnary écrit à son sujet un morceau de facture, mais chacun lui donnait l’exemple : « Le père de la république » était un thème de développement ; mais comme la « page » de Castagnary est terne à côté de celle d’About ! Il n’a guère plus de flair et d’initiative avec les sculpteurs qu’avec les peintres. Il