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fond du creuset, l’aluminium, sortant de la combinaison qui le voilait, pour ainsi dire, apparaît enfin dans sa métallique nudité.

Tout n’était pas fait d’ailleurs avec la découverte de Woehler. Une poussière grisâtre, quelques globules, dont les plus volumineux étaient gros comme des têtes d’épingle, c’est tout ce qu’il avait pu obtenir. Aussi, malgré la perspicacité que donne l’habitude de la recherche aux esprits vraiment scientifiques, n’avait-il pu que déterminer incomplètement, et même, sur certains points, fort inexactement, les propriétés les plus essentielles du nouveau métal. Ce sont les beaux travaux d’Henri Sainte-Claire Deville qui ont mis en valeur la découverte de l’aluminium.


II

Henri Sainte-Claire Deville est une des belles figures de notre temps, qui a vu peu d’existences plus dignement remplies. Dévoué à la science, trouvant son bonheur à explorer ces divines régions du savoir aux limites infiniment lointaines, ne reculant devant aucune des conséquences de la vérité scientifique, il fut en même temps de ceux chez qui, suivant la profonde parole de Pascal, le cœur a ses raisons, et ces raisons lui suffisaient à concilier, dans la sereine intimité de sa pensée, la science avec la foi. On peut dire de lui ce qu’il disait de Faraday : « La grandeur et la bonté de son caractère, la pureté inaltérable de sa vie scientifique, l’amour sincère du bien qu’il a toujours pratiqué avec l’ardeur et la vivacité de sa nature, toutes ces qualités et toutes ces vertus, qui se peignent sur ses traits animés et sympathiques ont exercé sur ses contemporains une attraction à laquelle personne ne résistait[1]. »

Dans son cher laboratoire de l’École normale, à quelques pas de celui où Pasteur poursuivait ses admirables recherches sur les fermens, Henri Sainte-Claire Deville s’était lait cette vie studieuse du savant, rendue si douce et si facile, — il le disait lui-même, — par l’éloignement des hommes et de leurs débats intéressés. Bienveillant aux hardiesses, sévère aux idées fausses, Sainte-Claire Deville pratiquait la plus large tolérance. Il ignorait la jalousie, dit Jean-Baptiste Dumas, dans l’admirable éloge qu’il a fait de celui qui fut son élève et son émule. Il était étranger à l’envie. Dans sa notice sur M. de Senarmont, M. Joseph Bertrand raconte à ce propos une anecdote caractéristique. Elle est connue peut-être de quelques

  1. Notice sur Faraday, par H. Sainte-Claire Deville, en tête de l’Histoire d’une chandelle, l’un de ces petits ouvrages de vulgarisation où le savant et habile conférencier de la Royal Institution savait mettre autant de charme et de bonne grâce que de rigoureuse exactitude.