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osait faire parler son héros, en France, à Paris, sous Louis XVI, convenablement au temps, aux lieux et aux personnes, c’est-à-dire en accumulant toutes les inconvenances. Mais voyons le texte dans son intégrité.

Pour l’apprécier, il faut le replacer dans son cadre. Il n’en eut jamais qu’un, ce fut « le cabinet intérieur de Sa Majesté, » le jour où il y fut lu par Mme Campan devant Louis XVI et Marie-Antoinette, seuls, et sous le sceau du secret d’État. La lectrice a pris place sur le siège qu’on lui a préparé auprès d’une petite table, qui porte le lourd fardeau du Mariage de Figaro, « un énorme manuscrit en plusieurs cahiers, » tandis que les deux Majestés, assises en face d’elle, écoutent attentivement, l’une pour juger, l’autre pour rire. « Je commençai, dit Mme Campan. Le roi m’interrompait souvent par des exclamations toujours justes, soit pour louer, soit pour blâmer. Le plus souvent il se récriait : « C’est de mauvais goût ; cet homme ramène continuellement sur la scène l’habitude des concetti italiens. » Passons : mais comme nous serions curieux de savoir ce que le roi pouvait bien trouver à louer dans le Mariage de Figaro ! Quel diable d’homme que ce Beaumarchais ! Après avoir pesé plus que personne sur Louis XVI, pour le décider à favoriser secrètement la révolution des États-Unis et à soutenir de ses deniers « une guerre républicaine, » il ne lui manquait plus que d’arracher à sa majesté des applaudissemens pour Figaro ! Mais patience ! comme dit Panurge. Voici qu’il n’est plus question de mauvais goût. « Au monologue de Figaro, continue Mme Campan, dans lequel il attaque diverses parties d’administration, mais essentiellement à la tirade des prisons d’État, le roi se leva avec vivacité… » Qu’y avait-il donc ? Est-ce la tirade connue : « N’ayant pas un sol, j’écris sur la valeur de l’argent et sur son produit net, sitôt je vois, du fond d’un fiacre, baisser pour moi le pont d’un château-fort, à l’entrée duquel je laissai l’espérance et la liberté (Il se lève), etc. » qui fait lever si vivement Louis XVI, en même temps que Figaro ? Certes, il y a de quoi ; mais il y avait bien pis. Regardons, en effet, par-dessus l’épaule de Mme Campan. La voici écrite de la main de Beaumarchais, la phrase révolutionnaire qui a fait sursauter Louis XVI, et a dû glacer la gaîté de la reine : « Mon livre (sur le produit net) ne se vendit point, fut arrêté et, pendant qu’on fermait la porte de mon libraire, on m’ouvrit celle de la Bastille… » Le mot y est, et sans le moindre pâté pour excuse. Et dès lors elle devient terriblement claire, l’exclamation de Louis XVI qui « se leva avec vivacité et dit : C’est détestable, cela ne sera jamais joué, il faudrait détruire la Bastille pour que la représentation de cette pièce ne