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les magasins de Tervère, chez James Turing. Mais Beaumarchais, pour éviter que ces armes ne fussent confisquées par les Hollandais, auxquels nous venions de déclarer brusquement la guerre, le 1er février, ainsi qu’à l’Angleterre, les avait vendues à un négociant anglais, nommé Lecointre, le 7 février, avec un réméré de deux mois, lequel, par conséquent, était expiré. En conséquence, le comité autorisait Beaumarchais à offrir à Lecointre jusqu’à 800,000 florins, sur la remarque de Danton, que « pour sauver la patrie en danger, faute d’armes, on ne devait pas épargner les florins quand on avait fait de telles fautes. » Si d’ailleurs, les armes n’étaient pas rendues dans un port de France « dans cinq mois de ce jour, » le traité devait être résilié. Pour que le secret fût mieux gardé et qu’on évitât quelque nouvel esclandre de tribune dans ce pays « où rien ne peut rester secret, » selon la remarque mélancolique de notre négociateur, le traité restait renfermé dans le dépôt du comité sans qu’il en dût être donné aucune connaissance au conseil exécutif. Il était convenu, en outre et expressément, que Beaumarchais ne correspondrait qu’avec le comité de Salut public, lequel ajoutait, fort honorablement pour lui : « Nous attendons de son zèle le succès de sa négociation et l’exécution d’un traité qu’il importe à la république de faire réussir. » Voilà tout le mystère !

Cependant, plus d’un mois après, Beaumarchais était encore à Paris. Danton avait fait modifier sa mission en ne lui laissant que vingt-cinq jours, à dater de la signature, pour réussir à racheter les fusils à Londres. Or cette mission était signée depuis plus d’un mois, sans que Beaumarchais eût encore pu obtenir « ce qui lui était indispensable pour sortir même de Paris. » — « Je vous en ai fait la remarque, écrit-il à Danton, à la date du 27 juin, le jour que vous étiez si en colère au comité de ce que je n’étais pas encore parti, et sans le citoyen Hérault, lequel m’avait bien entendu, et qui vous l’a répété après moi, que le retard de mon départ ne pouvait être attribué qu’au comité et non à moi, j’allais me retirer encore sans avoir rien pu terminer. » — Elle est, d’ailleurs, fort curieuse, cette lettre du 27 juin. Au mérite d’achever de nous débrouiller les origines de la seconde mission de Beaumarchais, elle joint celui de peindre au vif les attitudes respectives du subtil père de Figaro et du formidable Danton : — « Depuis trois jours, écrit le premier au second, prêt à partir, je passe une partie de mon temps à chercher le moyen de prendre personnellement congé de vous sans pouvoir vous rejoindre. A peine, dit-on, venez-vous depuis quelques jours au comité de Salut public, où pourtant je n’ai pas aperçu, depuis deux mois que j’y monte la garde, qu’on y prenne un parti sur rien de regardé comme important sans