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Il a d’ailleurs lui-même plaidé sa cause, avec sa limpidité ordinaire, et çà et là avec toute la verve des meilleurs jours, dans un long mémoire qui est le plus intéressant de tous ces documens inédits qui ont trait à la révolution. Il est adressé « à tous les nouveaux membres actuels du comité de Salut public à Paris, » et porte la date du 30 avril 1795. Nous en donnerons seulement quelques extraits qui indiqueront le ton et l’intérêt du reste : « En lait de vérités qu’on a grand intérêt d’éclaircir et de propager, il faut dire comme Voltaire à qui on faisait ce reproche : j’en planterai tant, répondait-il, qu’enfin il en poussera quelqu’un ! Sévère citoyen Sieyès ! je vous désire pour rapporteur. Pardon, si je ne vous tutoie pas ! j’espère prouver, avant peu, combien la faute de le faire qui ne semble que puérile est grave, quoiqu’elle soit, dans mon opinion, la moindre contre mon pays, de toutes celles qu’on a faites. » Il y dit son mot sur la Terreur : « En arrivant près de Nimègue, j’appris la justice tardive qu’on avait faite de ce monstre de Robespierre que je savais être mon ennemi. » — « O mes concitoyens ! s’écrie-t-il plus loin, dans son style, toujours vert et pittoresque, que Dieu soit loué, puisqu’enfin on conçoit que dévaster un grand État, en éclaircir les habitans, comme les baliveaux d’un taillis, est un détestable moyen d’en rendre la nation heureuse et libre et prospérante. » Mais il se rassure : « Heureusement on ne raisonne plus chez nous à la façon de Robespierre ! Le temps du carnage est passé. Votre équité a pris la place. » C’est surtout à celle de Sieyès qu’il s’adresse en ces termes, dont les circonstances excusent assez la curieuse emphase : « J’ignore quels sont les membres qui composent votre comité, mais je sais que le citoyen Sieyès en est un, cela suffit à mon espoir ; il n’y a pas de mauvais raisonneur qui doive oser s’offrir aux regards pénétrans de cet aigle de la logique, au jugement d’un des plus forts des penseurs d’aujourd’hui : car lorsque l’évêque d’Autun, Taillerand, me demandait ce que je pensais du mérite de Mirabeau et de Sieyès, je répondais sans hésiter : Mirabeau, selon moi, n’est qu’un metteur en œuvre et Sieyès un grand lapidaire. L’un parle bien, et l’autre pense mieux. Eh bien, c’est à ce penseur-là que je présente ce tableau de ma conduite patriotique : qu’il soit mon rapporteur près de vous et jugez ! » Et il signe : « Pierre-Augustin Caron Beaumarchais, commissionné, errant, persécuté, non émigré. » Et il s’excuse de dater en vieux style, du « 30 avril 1796, » n’ayant pas d’almanach français. Ce n’est d’ailleurs pas la seule excuse qu’il doive de ce chef au Comité de Salut public, car il a gardé les dangereuses habitudes de style d’un ci-devant, et nous le voyons écrire couramment « le royaume »