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l’appât du gain, à se déclarer ses cliens en attendant de devenir ses protégés ou ses sujets ; chacune d’elles a sa pierre d’attente.

L’Angleterre occupe l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les Fidji et le sud de la Nouvelle-Guinée, dont l’Allemagne possède la partie septentrionale et aussi l’archipel Bismarck, les Salomon et les Marshall. La France a Taïti, les Marquises, la Nouvelle-Calédonie, l’archipel de la Société et les Gambier. L’Espagne a les Philippines, les Mariannes et les Carolines ; la Hollande, la plus grande partie de l’archipel d’Asie : Sumatra, Java, Bornéo, les Célèbes et l’ouest de la Nouvelle-Guinée.

Les États-Unis n’ont rien encore. Ni dans l’Océan-Atlantique, sur lequel ils déroulent 10,000 kilomètres de côtes, ni dans le golfe du Mexique, qu’ils bordent sur 5,000 et où se déverse le Père des Eaux, le gigantesque Mississipi, ni dans l’Océan-Pacifique, au long duquel ils déploient leur façade de 3,000 kilomètres, ils ne possèdent aucune terre insulaire. Et cependant les occasions ne leur ont pas manqué d’en acquérir. Il leur en fut offert et ils les ont refusées. Ils avaient mieux à faire. Si riche que fût Cuba, la perle des Antilles et le fleuron de la couronne d’Espagne, elle ne valait pas, pour eux, les terres fertiles et les inépuisables mines d’or et d’argent de la Californie, de l’Arizona, du Colorado, du Montana, du Nevada. Les dépouilles du Mexique les tentaient plus que les terres des Caraïbes, terres que leurs capitaux, leur commerce, leurs colons convertissaient en autant de satellites gravitant autour de l’Union, relevant d’elle, qui en avait le profit sans les charges.

En ce faisant, ils obéissaient à leurs traditionnels erremens, à leur Manifest Destiny, formule retrouvée plutôt que créée par leurs hommes d’État, par eux dégagée des premiers balbutiemens politiques d’un grand peuple. Cette Manifest Destiny était, sous sa forme élastique et vague, grosse de conséquences et d’événemens ; elle pouvait se prêter à tout. Quand, pour la première fois, sous la présidence de James K. Polk, en 1845, lors des débats relatifs à l’admission de la Floride et du Texas, elle fut proclamée, elle fut aussi précisée. Elle signifiait alors qu’en droit, l’Amérique du Nord devait appartenir tout entière aux États-Unis ; qu’en fait, leur politique d’annexion ne devait pas avoir d’autre objectif[1].

Depuis, près d’un demi-siècle s’est écoulé, et, dans cet intervalle, la superficie de l’Union a plus que doublé, la population plus que triplé, la richesse plus que décuplé[2]. Si l’annexion du

  1. Voyez Scudder’s History of United States, p. 339. — Voyez Records of Congress, 1846.
  2. De 1845 à 1890, la valeur des propriétés s’élève de 35 à 250 milliards, le commerce général de 660 millions à 7 milliards et demi et la population de 20 à 63 millions.