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déterminant une évolution brusque, préparant le conflit qui devait éclater plus tard.

En 1820, le brick Thaddeus débarquait à Honolulu les premiers missionnaires protestans. Les missionnaires que Kaméhaméha Ier avait demandés à Vancouver, et que l’Angleterre ne lui donna pas, la mission de Boston les envoya, anxieuse de prendre pied dans ces îles avec lesquelles les Américains commençaient à trafiquer, désireuse de soustraire les indigènes à l’influence de la Grande-Bretagne et à la propagande religieuse de l’anglicanisme. La question religieuse se doublait d’une question politique ; l’antagonisme des États-Unis avec l’Angleterre se prolongeait jusque dans l’Océan-Pacifique. Au courant sympathique créé par Vancouver et qui orientait l’archipel dans le sens d’un protectorat anglais, la mission nouvelle entendait en substituer un autre, établi, comme le premier, sur la reconnaissance des services rendus, mais aussi sur une intelligente entente des intérêts matériels à créer et à développer. L’Angleterre était loin, les États-Unis étaient plus proches et chaque année diminuait la distance qui les séparait de l’Océan-Pacifique. Convertir l’archipel au christianisme, le civiliser et le gouverner, y établir la prédominance commerciale et politique des États-Unis étaient pour tenter le zèle religieux et le patriotisme des missionnaires américains.

Les hommes qui entreprenaient cette tâche étaient admirablement choisis pour la mener à bien. Ils réunissaient les qualités nécessaires : un prosélytisme ardent, une foi sincère, des mœurs irréprochables ; plusieurs d’entre eux y joignaient les traits caractéristiques des Yankees : l’adaptabilité à un milieu nouveau, une volonté opiniâtre, une remarquable intelligence des affaires, de rares qualités d’administrateurs et d’organisateurs. Convertir les Canaques lassés d’un paganisme oppresseur, les initier aux idées de liberté et d’affranchissement lurent la partie la plus facile de leur œuvre ; elle s’effectua sans résistance et sans lutte. L’opposition ne vint pas des indigènes, mais des blancs.

Trafiquans et matelots s’accommodaient mal du nouvel état de choses. Sous l’influence des missionnaires, les chefs faisaient fermer les cabarets, interdisaient les visites des femmes indigènes à bord des navires, prohibaient la vente des spiritueux, réglementaient sévèrement les échanges, s’efforçaient d’arrêter la destruction des forêts de sandal. La Cythère havaïenne revêtait l’aspect morne et sévère d’un village méthodiste des États de l’Est. Plus de jeux, plus d’orgies ; partout une répression sévère, les temples pleins et les lieux de plaisir vides.

À cela, les étrangers ne voulaient entendre. Ces mesures