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Le matin même, après une interminable session de 170 jours, les chambres se séparaient, laissant le ministère sous le coup d’un vote de méfiance. La reine avait lu le décret de prorogation, et, rentrée au palais, y avait retrouvé les principaux membres de l’opposition, accourus pour la supplier d’agir, de nommer un nouveau cabinet et de proclamer le retour à la constitution de 1866. L’Hawaïan Gazette, organe du parti américain à Honolulu, fait, de cette scène, le récit suivant : « Dans l’après-midi, immédiatement après la prorogation des chambres, les membres de la majorité se rendirent au palais pour demander à la reine un changement de ministère et de constitution. Elle leur répondit qu’elle allait convoquer les ministres. Ceux-ci rejoignirent la reine dans le salon bleu. Elle portait encore le costume d’apparat et la parure de diamans qu’elle avait le matin pour la séance de prorogation. Mettant sous leurs yeux l’acte de promulgation de la constitution, elle les invita à le signer, et à donner ainsi satisfaction aux vœux de la majorité de ses sujets. L’attorney general Peterson, et le ministre de l’intérieur, Colburn, s’y refusèrent catégoriquement ; MM. Cornwell et Parker hésitèrent un moment, mais finirent par se ranger à l’opinion de leurs collègues. Ils insistèrent ensuite auprès de la reine pour qu’elle ne donnât pas suite à son projet. Irritée de leurs remontrances, celle-ci, frappant de sa main sur la table du conseil pour leur imposer silence, répliqua qu’ils n’avaient pas qualité pour parler au nom des chambres, et qu’elle était prête à déclarer à la foule qui se pressait aux portes du palais, que les ministres refusaient d’adhérer au changement de constitution. Convaincus qu’ils ne sortiraient pas vivans des mains de la populace surexcitée, les ministres prirent la fuite.

Réunis au palais du gouvernement, ils envoyèrent immédiatement prévenir leurs partisans, en ville, de ce qui venait de se passer. Les compagnies de volontaires, prêtes à les soutenir, se groupèrent autour d’eux. Après une courte délibération, les ministres, escortés de leurs adhérens en armes, se rendirent de nouveau au palais et sommèrent la reine de se désister de ses projets. Ses gardes entouraient sa demeure, contenant avec peine la foule exaspérée de la violence faite à sa souveraine, et n’attendant qu’un mot d’elle pour engager la lutte.

La reine hésitait à le prononcer, non que le résultat parût douteux, mais elle reculait devant l’effusion du sang. Une violente discussion s’engagea entre elle et les ministres. À titre de concession, ils lui demandaient un sursis qui permît de calmer les esprits et d’examiner à loisir les mesures à prendre. La conférence dura deux heures. À quatre heures, la reine, pâle de colère, entrait dans la salle du trône où l’attendaient les membres de l’assemblée, les