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pouvoirs expirent le 5 mars, a voulu prendre date et attacher son nom à cette extension de territoire. Il a voulu surtout précipiter les événemens avant l’accession de son successeur, étouffer toute enquête et devancer les protestations. Il nous semble toutefois peu vraisemblable qu’il puisse, en un si court espace de temps, rallier à ses vues un vote des deux tiers du sénat en faveur de cette iniquité.

L’Angleterre ne la laissera pas s’accomplir sans protestation. Elle joindra sa voix à celle que vient de faire entendre, de Londres où elle achève son éducation, la princesse Kalaulan, héritière présomptive, âgée de seize ans, qui supplie le congrès de l’entendre, à Washington où elle se rend, avant de disposer de son royaume et de décider du sort de sa race. Par l’acte diplomatique de 1843, elle s’est engagée, conjointement avec la France, à respecter l’indépendance du royaume havaïen. Ses nationaux y possèdent de grands intérêts, des plantations et des maisons de commerce ; comme nombre, ils n’y sont que de peu inférieurs aux Américains, 1,344 contre 1,928. Le consul-général d’Angleterre a refusé de reconnaître le gouvernement insurrectionnel, et sir Julian Pauncefote, ministre britannique à Washington, a reçu l’ordre de demander au cabinet de Washington des explications sur le débarquement, à Honolulu, des forces militaires des États-Unis.

Étant données la situation géographique de l’archipel havaïen et son importance stratégique en cas de guerre maritime, l’intervention de l’Angleterre est naturelle ; elle est justifiée par les traités qui la lient, ainsi que nous, avec ce royaume. Elle a su mieux que nous en tirer parti, s’ouvrir des débouchés et créer des comptoirs ; elle défendra ses intérêts et ceux de ses nationaux.

Et nous, dira-t-on ? Il est à craindre que nous ne disions rien et ne fassions rien. Nous avons aux îles un agent consulaire et diplomatique, une mission catholique ; nous n’y avons ni intérêts commerciaux ni colons ; notre traité y est lettre morte, notre mouvement maritime y est nul. Pourquoi, entre la colonie anglaise dans ces îles, et la colonie française, l’affligeante disparité qui, pendant quatorze années de séjour, fut pour nous un constant étonnement et un patriotique regret ? Des nombreux résidens anglais que nous avons connus sur cette terre lointaine tous sont arrivés à la fortune ou tout au moins à une large aisance. De colons français, il n’y en avait pas et il n’y en a pas. Et cependant l’on eût vainement cherché terre plus hospitalière et plus fertile, climat plus beau, chances de réussite plus grandes pour l’émigrant. Je l’écrivais, je ne me lassais pas de le redire, sans succès, sans écho. L’immigration française restait nulle, nulle aussi l’importation de nos produits abandonnée aux négocians allemands.

Les États-Unis restent donc maîtres du terrain, et en présence