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dépenses algériennes correspondent de nouvelles ressources algériennes. » L’État perçoit de 15 à 16 millions d’impôts arabes, il en abandonne les cinq dixièmes aux départemens algériens. Cette année, les augmentations qui leur ont été accordées dépassent 1 million 700,000 francs ; on leur demande en revanche un sacrifice qui n’atteindra pas 500,000 francs. « Le jour, disait M. Jonnart, où les mauvaises gestions des assemblées locales, au lieu de ne préjudicier qu’à l’État, se traduiront par l’augmentation des bordereaux d’imposition de ceux qui proposent et votent les dépenses, ce sera le commencement de la sagesse… Le système actuel qui fait de l’État une sorte de providence toujours secourable, toujours bienveillante, le système des subventions à jet continu dispense les élus et les électeurs de tout effort, de toute initiative, de tout contrôle. En dotant les départemens et les communes de ressources propres, vous leur inculquerez le sentiment de la responsabilité ; vous réagirez contre l’affaissement des caractères, contre l’engourdissement des volontés, vous développerez au sein de la population coloniale les facultés viriles que tend à étouffer aujourd’hui l’abus des libéralités de l’État. »

Mais Anglais, Hollandais ou Français, tous les colons de l’univers ont un irrésistible penchant à tenir les indigènes chez qui ils viennent s’établir pour une race taillable et corvéable à merci, à laquelle on ne doit rien, pas même la justice. Un voyageur allemand fort distingué, M. Rohlfs, qui s’est amusé plus d’une fois à donner à la France de dangereux conseils, l’engageait à traiter les Arabes comme un peuple improgressif, réfractaire à toute civilisation, qu’il faut déposséder et exterminer. Les colons algériens n’ont jamais songé à suivre les conseils de M. Rohlfs ; mais les Arabes sont à leurs yeux d’irréconciliables ennemis, dont il faut se faire craindre et avec lesquels il n’y a pas de ménagemens à garder. On ne les bâtonne pas, mais on les exploite. On voudrait que la métropole ne fît rien pour eux, et toute l’Algérie s’indigna quand elle apprit que le gouvernement s’occupait de créer des écoles indigènes. Leurs doléances ne méritent point d’être écoutées ni leurs griefs d’être discutés. On n’admet pas à leur égard d’autre politique que celle du mépris et de la compression. On n’entend pas les exterminer ; mais si, à force de leur donner des dégoûts, on les obligeait à s’en aller, personne ne s’en plaindrait.

« — Votre commission, lit-on dans le rapport de M. Ferry, conçoit d’une façon plus large et plus haute les devoirs qu’a imposés à notre race la conquête de l’Algérie. Elle ne se fait aucune illusion sur les vertus du peuple conquis, mais elle constate qu’il est résigné, docile et pauvre, et elle ne le croit pas irréconciliable. Avec les années le souvenir des luttes sanglantes s’effacerait ; ce qui le perpétue, ce sont les mesures économiques injustes ou mal conçues, les rigueurs du régime forestier, les séquestres qui ne se liquident pas, l’exploitation