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le salut éternel par la stipulation du régime dotal, et contre cette loi d’airain, sans l’entamer, nos deux tourtereaux usent leur bec rose, ce dont ils enragent. Femme, fille, épouse d’avoués et de syndics, Mme Beaudoin brave la meute en vain hurlante des créanciers, et quand les enfans prodigues crient misère, elle leur envoie des secours, mais en nature : dindes truffées et pâtés de foie gras. Ce n’est pas les vivres qu’elle coupe. Aux deux jeunes gens à bout d’argent comptant et de patience, l’usurier Letourteau signale un expédient ingénieux : le divorce fictif et provisoire, le temps seulement de croquer de compagnie et en cachette la dot redevenue disponible ; après quoi remariage, sous un régime re-dotal, qui ne trouvera plus à séquestrer que des restes, s’il y en a.

Aussitôt fait que dit : fausse querelle et fausse demande en divorce, au grand ébahissement de Mme Beaudoin et de M. de Puissec père. Et le second acte nous montre les amans légitimes, leurs rendez-vous et leurs secrètes amours. Mais les parens veillaient, surveillaient ; ils découvrent la supercherie et courent au tribunal décommander le divorce. Heureuse insouciance et mépris serein du code de procédure ! La pièce ici paraît finie, mais recommence aussitôt. Pour des raisons qu’il serait long de déduire, et qui d’ailleurs n’ont rien de profondément psychologique, un ami de Paul, Dumoustier, qui a hérité de lui une amie légère, Fannoche, se croit trompé par celle-ci, et avec Paul, ou sur le point de l’être. Alors il n’imagine pas de meilleure vengeance que d’amener la jeune personne chez Paul et de l’y laisser, elle, son chien, son chat et sa guenon. Rentre naturellement Huguette, qui tombe au milieu de la ménagerie. Les parens l’y rejoignent. Fureur d’Huguette, et fureur sincère cette fois, mais que les parens ne prennent plus au sérieux et tiennent pour une nouvelle feinte ; explications aussi vaines que désespérées de Paul avec sa femme, ahurissement de Fannoche, contemplant de ses beaux yeux bêtes cet imbroglio, son œuvre involontaire et inconsciente. Et nous repartons pour le divorce, le vrai maintenant, pas le blanc, la mère d’Huguette et le père de Paul continuant de n’y pas croire et d’exaspérer la crise conjugale par leur malin sourire et leur tranquillité. Tout le troisième acte est fait, un peu bien longuement, de ce contraste et de ce quiproquo. Huguette, hors d’elle, menace de se faire enlever par Dumoustier, qui s’y prête en rechignant et que Puissec finit par souffleter. Du coup, Mme Beaudoin mère et Puissec père prennent peur et courent derechef au tribunal pour réintroduire l’instance en divorce. Mais en leur absence, on s’explique, on s’excuse, on s’attendrit, on s’embrasse, et les parens trouvent en revenant les oiseaux rentrés dans leur cage dotale et dorée.

Il y avait, rien que dans le titre de ce vaudeville, une idée, mince et déjà connue, mais une idée de comédie ; l’étude était possible, ou